Faire un papier « culture » pour le dimanche c’est un acte politique. On peut ainsi tomber dans la facilité consensuelle, rédiger un article sur un phénomène culturel connu, un truc qui va résonner dans le cœur de la plupart des lecteurs. Mais on peut également parler du dernier album des Ugly Brothers ou de la saison 4 de Mon Petit Poney : un truc que le rédacteur a surkiffé mais qui va intéresser 3 pèlerins. Le choix est donc délicat. En la matière, je vais m’orienter vers la deuxième solution dans un prosélytisme de ouf gueudin. J’ai en effet décidé de vous parler Jazz et plus précisément trio piano. Oui je sais, ça envoie du rêve.
Bizarrement quand j’évoque le jazz avec des vingtenaires, j’ai le choix entre un » j’aime pas ça », « j’connais mal (ce qui en vérité veut dire « j’n’y connais rien ») voire même « c’est de la musique d’ascenseur/de coiffeur/de vieux ». Rares sont les personnes qui écoutent du jazz et quand c’est le cas ça reste très très très ciblé. Bon, la en théorie, je devrais avoir une levée de boucliers de lecteurs hurlant mais pas du tout moi j’écoute un peu/beaucoup/passionnément du jazz et tu es extrêmement désagréable Lucas avec tes sous entendus à la con. Oui, je sais bien, mais voila, en l’occurrence c’est moi qui rédige, je raconte ce que je veux, et si vous n’êtes pas content c’est la même chose.
Donc je voulais vous parler de trio piano. Pourquoi donc ? Parce qu’on est dimanche, c’est détente et que le trio piano est la musique idéale pour accompagner la déprime glauque du dimanche soir. Non, je rigole, mais reconnaissons que l’image associée à un piano jazz est plutôt celle d’un club feutré aux sièges cuirs et aux tentures sombres agrémentées de lumières tamisées. Une ambiance intimiste et zen plus tournée vers l’apaisement que le défoulement. La formation en elle-même explique en partie cet esprit. Un piano, une contrebasse et une batterie. Rien de très funky. Et pourtant…
A mon sens, c’est Bill Evans qui a donné ses lettres de noblesses à cette formation avec son toucher, sa sensibilité et l’ouverture offerte à ses comparses. Avant Bill Evans, la batterie et la basse composaient une simple section rythmique. Avec l’album Waltz For Debby, enregistré au Village Vanguard, Bill Evans crée ce que les critiques-qui-s’la-racontent appellent l’interplay. D’une part il y a la complicité des trois musiciens qui donne l’impression d’avoir une seule entité soudée. D’autre part, Bill Evans laisse toute latitude à Paul Motian et Scott la Faro pour faire des solos étonnants. C’est un disque magnifique même si à titre perso je vous conseille plutôt son album posthume You Must Believe in Spring. Sans déconner les mecs, c’est exactement le genre de musique bien classe à mettre en fond sonore quand vous avez réussi à persuader Raoulette de venir chez vous « boire un dernier verre ». Oui je sais, je suis glamour, c’est à peine croyable.
Je pourrais enchaîner les exemples de trio absolument divins et vous saouler jusqu’à plus soif. Je pourrais vous inonder de références techniques débiles et cuistres qui vous feraient encore plus bader qu’un dimanche soir à Montargis. Je pourrais faire mon critique abscons et détestable et vous feriez des sourires niais et consensuels en cherchant, nauséeux, une porte de sortie à cet article barbant. C’est la raison pour laquelle je préfère m’adresser directement aux gens curieux, les prendre par la main et leur laisser dans la paume quelque pépite étourdissante. Ainsi, les plus débrouillards seront récompensés en allant trouver quelques ziks, les autres iront mater le résumé hebdomadaire de la Starac pour se complaire dans leur normalité. Je vous laisse donc avec E.S.T – Bound For The Beauty Of The South, avec Brad Mehldau – Exit Music (oui une reprise de Radiohead), avec Antoine Hervé & les Frères Moutin en Trio – Summertime. En espérant que ces quelques pistes vous mèneront dans les méandres luxuriants du jazz soft et éthéré. En espérant que vous aurez plaisir à vous perdre dans cet univers brumeux et délicat. C’est vraiment tout le mal que je vous souhaite.
Une réflexion sur “Souffle le Vent sur mon Tempérament”