Par Diane
Salomé est un mythe. Et comme tout mythe, elle est le reflet de ce qui perturbe nos âmes. Elle est dans tous les esprits, que ce soit l’esprit des hommes qui en sont victimes, ou celui des femmes qui sont tiraillées entre l’envie de la maudire ou de devenir elle. Petite piqûre de rappel. Qui est Salomé?
Salomé est une princesse juive évoquée dans un épisode de la bible. Sa môman ayant épousé le tétrarque Hérode (qui n’était autre que le frère de son mari originel), le saint Jean-Baptiste s’était opposé à cette union en disant que franchement, épouser le frère de son mari, c’est pas très cool. La môman en question n’ayant pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds par un moralisateur hippie aux cheveux longs, elle a ordonné à sa fille, Salomé,de danser devant Hérode. La danse de la jeune fille fut un tel enivrement des sens qu ‘Hérode lui promit sur le champ ce qu’elle voudrait, fut-ce la moitié de son royaume. La jeune demoiselle lui a demandé, je vous le donne Emile…. la tête du saint sur un plateau. (et au sens propre du terme) Et de ce petit épisode biblique mineur (quelques lignes seulement), l’imaginaire humain en a tiré un mythe, et a fait de Salomé l’incarnation absolue de la femme fatale, fascinante et dangereuse, le fantasme masculin à l’état pur.
Salomé est la femme-enfant. Elle marche pieds nus et porte en elle l’insouciance et la naïveté et une sorte d’instinctivité d’enfant pas encore éduqué, est capable de répondre à une déclaration d’amour enflammée d’un homme au désespoir qui mettra sa vie et son âme à ses pieds un « c’est gentil » agrémenté d’un petit rire cristallin et cabotin, et ne prend jamais rien au sérieux. Elle joue avec la vie autant qu’avec les hommes qui lui vouent la leur.
Salomé est la femme sensuelle. Elle matérialise en elle tous les instincts de la chair, et soupire la luxure aux corps transis d’un désir moite et irrépréssible. Elle s’exprime avec son corps, et ses mouvements sont ceux d’une créature libre et sans entraves, qui ne se met aucune limite ni aucune contrainte.
Elle ne brille pas par son esprit. Elle n’est qu’un corps, une enveloppe sublime et vide que les hommes pourront remplir de leur imagination. Ce n’est pas que Salomé n’aie pas d’esprit, c’est qu’elle a celui que l’homme lui choisit, et lui invente. Idéaliser la femme ne revient pas à l’immatérialiser. Au contraire, ce n’est pas le corps qui est exclu mais le reste: non l’enveloppe mais le contenu, auquel l’homme préfère substituer sa propre version.
Salomé est une étrangère. Elle a le charme mystérieux de l’orient, une odeur d’épices et de fleurs rares, et l’envoutant langage de l’inconnu.
Salomé est dangereuse. Elle n’est pas offerte, elle est à conquérir, et même quand elle se donne, rien n’est jamais certain, elle reste un être libre, pour lequel la fidélité est contre-nature car elle signifie une retenue de ses instincts. Et elle ne se retient jamais. Elle est à la fois cruelle et fascinante, elle est « la femme essentielle et hors du temps, la bête vénéneuse et nue, la serve absolue du diable » (Huysmans), qui cristallise toutes les craintes de l’homme à propos d’un sexe qui l’attire et le repousse tout à la fois (le temps où la femme était l’incarnation du diable
n’est pas si loin que ça, finalement…). Chez Salomé, l’être disparaît sous l’apparence, elle séduit les âmes romantiques car elle stimule l’imagination. Elle incarne le mystère, l’ambiguité physique et morale, l’équivoque et le danger, et elle est la manifestation du désir de l’homme de fuir l’ennui et de sa soif d’absolu, de connaître l’abandon aux forces obscures et irrationnelles.
Elle est le pouvoir démoniaque de la séduction féminine. Elle et ses copines Eve, Circé, Dalila, Hélène, Cléopâtre et bien d’autres « prouvent assez que,depuis le commencement du monde, elles sont faites pour combattre l’idéal, humilier l’homme et perdre les empires » (Flaubert, le sexe faible). Elle dispose de l’esprit des hommes comme il lui plaît, elle charme, séduit, ensorcèle jusqu’à ce que la folie vienne leur titiller l’âme.
Et le pire, c’est qu’il ne s’agit pas ici du bon vieux lieu commun de l’homme aveuglé par l’amour. La plupart du temps, l’homme réalise ce qu’elle fait de lui, il sait et assiste à sa propre déchéance sans pouvoir rien y faire, ou plutôt sans vouloir rien y faire car elle éveille en lui la jouissance absolue, celle qui combine la jouissance du l’âme, du corps et de l’esthète, quitte à tout se faire piétiner après. Et la femme là dedans me direz vous?
Eh bien la femme, elle lutte, elle lutte entre la tentation d’envoyer balader tous ses principes moraux pour devenir elle aussi cette enviable incarnation du désir masculin (car, si on est dotée d’une plastique adaptée, devenir Salomé n’est pas si dur que ça au final: il suffit de n’avoir plus aucune considération pour l’autre et de ne rien dévoiler de soi et pouf, on devient une mystérieuse et irrésistible sirène indomptable) ….et celle (la tentation hein, suivez un peu) de votre petite conscience morale qui vous dit que, au final, il vaut mieux être aimée que vénérée, car l’amour naît de ce que l’on est et la vénération de ce qu’il s’imagine qu’on est… Bref, Salomé est insupportable dans tous les sens du terme, elle est (encore une dernière et après j’arrête avec les citations, mais j’y peux rien, c’est trop beau Huysmans) « la deité symbolique de l’indestructible luxure, la déesse de l’immortelle hystérie, la beauté maudite, élue entre toutes.
La bête monstrueuse, indifférente, irresponsable, insensible, empoissonnant tout ce qui l’approche, tout ce qui la voit, tout ce qu’elle touche… » , elle est là, présente dans tous les fantasmes masculins et les tentations féminines, elle nous sublime et nous gâche la vie à la fois, et c’est insssuppoooorrtaaaaaable!!!!
Y’a pas, c’est un chouette article. Mais pour quoi c’est écrit en tout petit?
Bonjour!
premier commentaire sur ce blog que je parcours depuis quelque temps, et je me demandais un petit truc, donc je me lance:
j’aime beaucoup « les vingtenaires » (sinon je ne serai pas là!!)
mais je me dis que les vingtenaires c’est quand même surtout Nina… alors pourquoi un blog collectif puisque c’est toi la vingtenaire Nina!!
Voilà ce commentaire n’est pas constructif j’en suis bien consciente mais je me devais de faire part de ce sentiment selon lequel un blog à toi ce serait vachement bien!
A bientôt!
Zania, c’est exactemetn la logique qui m’a fait ecrire un artcile toutes les semaines apres mon retour à la vie. Histoire que Nina ait moins de boulot. Mais attention, la patronne a aussi sa mainmise sur son bébé. Elle nous l’a rappellé récemment et on se plie de bonne grace à la loi implacableu (…je n’y crois pas c’est merveilleux)
Et sinon, Diane, encore un article qui me fait mettre genou à terre et t’implorer : épouse moi. Et s’il te plait sois cool : ne me dis pas d’aller siffler la haut sur la colline de t’attendre et te cueillir un petit bouquet d’églantines… (daï daï daï daaaaaï)
Diane, tu es très très forte… Comment tu fais pour que tout ce que tu écris paraisse tellement intelligent franchement?? 🙂
C’est là que je me souviens qu’en fait cet épisode apparait dans le film de Pasolini, je sais plus le nom, et heu… Non rien en fait ^^
Zana= beuhh t’a qu’à dire qu’on t’ennuie aussi euh… malgré la toute puissance de Maître Nina qui règne sur ce blog et sur nous tous, sisi nous avons aussi notre utilité:
1/l’émulation, la diversité de styles, d’opinions etc….
2/Faire reposer un peu Nina, parce que se taper un article tous les jours, c’est pas franchement de tout repos non plus…
Boulou: j’ai un philosophe sans papiers caché dans ma cave. Je cache lui et en échange il fai ke jai lair aintéligante. Mais chuuuut….
Lucas: t’oublieras pas de mettre les églantines dans un vase, hein…laÏ laÏ laÏ laîiiii……
Excellent article – comme quoi, rien de tel que revenir aux origines pour déterminer la nature de nos emmerdes actuelles ! 😉
Il s’avère que le personnage romanesque ou cinématographique de la femme fatale en a repris l’essentiel, au sens où elle est la femme du destin, dont la rencontre bouleverse la vie d’un homme au point de pouvoir la détruire. Le film… « Fatale », avec Juliette Binoche (rhâââââ… lovely), en était une saisissante illustration, bien plus que « Liaison… fatale », dans lequel ladite femme fatale est en fait une hystérique qui aime cuire des lapins.
Le personnage de Salomé est surtout conçu comme une mise en garde adressée aux hommes à une époque où l’Eglise considère que les nanas, responsables du péché originel, posent davantage de problèmes qu’elles n’en résolvent, et que leur existence ne se justifie que du point de vue reproductif. Pourtant, il suffit de considérer le nombre de romans, poèmes – et même travaux universitaires -, sans oublier les pièces de théâtre, les opéras, les toiles, consacrés à cet épisode pour réaliser la fascination qu’elle et ses descendantes exerce sur nous autres, et en vertu de motifs que tu as parfaitement expliqués.
Bref, cette jeune femme incarne bel et bien un fantasme collectif, au sens où elle représente une limite que bien des hommes et femmes aimeraient franchir, mais à leurs risques et périls. La réalité est probablement toute autre : outre qu’il est peu probable qu’une jeune princesse aurait ainsi dansé devant le Roi et sa Cour, la véritable Salomé épousa le roi de la Petite Arménie, qui lui donna trois marmots, et vécut fort longtemps sans marquer son époque. En d’autres termes, n’oublions jamais que derrière le mythe se cache souvent une réalité un poil plus… réaliste. 😉
Merci Dieter pour ce commentaire éclairé et éclairant, je ne savais pas qu’elle avait finit en mère de famille…. argh, ça casse quand même brutalement le mythe là… Tu vas faire pleurer tous les petits romantiques en quête d’absolu féminin…
Et oui, c’est vrai qu’elle a pas mal servi comme exemple très parlant de l’origine diabolique de la femme, avec autres eve et pandore…
Mais au fait, il y a eu très peu de reprises du mythe pendant lonnngtemps, et tout d’un coup, vers la fin du XIXème/ début XXème, il y a eu un gros boum d’artistes qui se sont emparés du mythe (Moreau, picasso, Wilde, Hesse,Mallarmé…); me demande à quoi c’est dû. (peut-être l’influence des tableaux de Moreau)
Zana, merci pour ton comm mais je t’avoue que je suis bien contente d’avoir mon équipe rédactionnelle parce que des fois, ça tire un peu ! Surtout en ce moment, je suis déborded. Mais ça ira mieux avec l’été! 🙂
L’est beau cet article ! La culture, oui, la culture !
Il y a beaucoup de pétasse bibliques, mais on ne parle jamais des enfoirés bibliques… alors que quand meme, hein…
A Diane : doublement désolé, d’une part pour avoir cassé le mythe, d’autre part pour le retard lamentable de ma réponse.
En fait, il existe de nombreuses oeuvres inspirées de Salomé bien avant le XIXe siècle, et encore ne causé-je que de celles qui sont parvenues jusqu’à nous (l’Inquisition veillait, du moins filtrait). De manière assez peu surprenante, la quasi-totalité des représentations de Salomé au Moyen-Âge et à l’époque de la Renaissance nous l’exposent avec… la tête de Jean-Baptiste. Deux toiles de Bernardino Luini, artiste du XVIème siècle, sont absolument effrayantes à cet égard, le peintre ayant réussi le tour de force d’attribuer à ladite princesse un regard inimitable de satisfaction trouble. Ces oeuvres, généralement de commande, se voulaient à l’origine une mise en garde : la luxure cohabite inévitablement avec la mort.
Ce faisant, ce dogme a sans doute contribué à ancrer la fascination éprouvée par nombre d’artistes envers le personnage. Par la suite, à partir du XIXème siècle, les esprits se lâchent un peu plus, et à peu près tous les courants artistiques reprendront à leur compte, pour l’adapter à leur sauce, ce personnage. Là encore, le message est à peu près le même, à ceci près que, dans moult cas, le péché est ici clairement revendiqué, et non plus combattu. Moreau, par exemple, semblait littéralement obsédé par celle qui deviendra son sujet de prédilection : pas de surprise, en fait, car son oeuvre révèle un rapport torturé avec les femmes, par qui selon lui le malheur arrive. D’où quelques toiles consacrées à certaines héroïnes trash de la mythologie (Hélène de Troie) ou de l’Antiquité (Messaline). Me demande d’ailleurs comment il aurait considéré Carla Bruni…
Oilà oilà, navré pour la longueur monotone, et bon W.E. !