En milieu tempéré

Par Ella Sykes

Depuis que je suis arrivée au Canada, je ne regarde pratiquement plus la télévision. Seules 3 chaines
difficilement captables par le biais d’une antenne tordue parviennent au consommateur désargenté.
Pour le reste, il faut agiter sa carte de crédit. Aussi, me suis-je résolue à travailler d’arrache-pied,
me coupant du monde extérieur, apprenant la nouvelle du décès de G. Depardieu, une semaine
après.

Mais, les élections américaines sont parvenues à monopoliser les 3 chaines survivantes et à titiller
mon intérêt. Parce qu’il est bien évident qu’en bon esprit cynique parisien, je n’ai pas pensé un seul
instant que Barack Obama allait effectivement réussir à se hisser au sommet.

Il l’a fait.

Alors ce matin, médusée, je laissais mon regard caresser les lignes du Monde électronique.
Quelques larmes sont venues souiller mes joues.

Je suis métisse, une noireaude avec des origines chinoises, arabes et indiennes. La discrimination
raciale m’a frappé tous les jours à Paris, durant les 15 années où j’y ai vécu, ne laissant aucun répit
à mon esprit rebelle.

Du coup, imaginer qu’un noir d’origine keyniane puisse contrôler la plus grande puissance
mondiale, un pays aussi mythique et machine à fantasmes internationale que les Etats-Unis, nous
sidèrent, nous les noirs. L’esclavage n’y a été aboli qu’en 1865 suite à la Guerre de Sécession,
c’était il y a à peine un siècle et demi.

Je suis parfaitement nulle en Politique, je n’y connais strictement rien. Je suis juste interpellée par
l’histoire, la culture des populations et le facteur humain. Dans le fond, tout ce qui détermine nos
actes et conduit les politiques reste ce facteur humain. Alors, ce matin, aujourd’hui et probablement
encore la semaine prochaine, serais-je figée de stupéfaction face à l’incongruité d’une telle
situation. Comment un peuple aussi peu intéressé aux questions sociales et culturelles que ce peuple
américain a t’il pu élire B. Obama ?

C’est aujourd’hui que la face du Monde a changé de façon irrémédiable, quoiqu’il advienne par la
suite, rien ne sera plus pareil, C’est un véritable choc pour nous, les noirs. J’ignore si les autres
cultures vioient les choses de la même manière que nous mais personnellement dans mon
individualité et dans mon identité de noir bafouée, j’espère beaucoup de ce symbole.

Mais, personne n’est dupe. Il est évident que la plupart des américains ont voté pour lui parce que
des acteurs hollywoodiens, des artistes et autres personnages publics ont participé à des
matraquages médiatiques passés à longueur de journées sur l’unique chaîne d’information publique,
prônant le vote en faveur du Noir. Comme quoi, les moutons ne sont pas basés uniquement en
France.

Néanmoins, ne boudons pas notre joie car le symbole est beau, fort et émouvant aussi. Seule, la
peur qu’on ne le fasse disparaître se tient là, tapie dans l’ombre de nos espoirs.

Pourtant, ce qu’il y a d’amusant c’est qu’en dépit notre aspiration à la grandeur et à la noblesse, au
final, on retombe trés rapidement dans la morosité de la frustration quotidienne. Enfin, lorsque je
dis « on », on s’entend bien que je parle de ma propre personne, bien évidemment.

Bref, tout cela pour conclure qu’en névrosée parisienne que je suis, installée depuis à peine trois
mois, j’ai déjà eu toute la latitude nécessaire pour tomber sous le charme d’un homme totalement
inaccessible mais que je vois 2 fois par semaine, de haïr sans raison mon colocataire pourtant sacré
l’homme le plus gentil et serviable de la création par mes copines et ma mère, de me mettre à boire
plus de bières, de tequila, de gin, de whisky coke que durant toute ma vie entière, de me remettre à
porter des Jean/Converse (Ce qui, vous l’admettrez aisément, sied davantage à une jeunette qu’à
une vieille peau de mon âge … Oui, 29 ans, hein), le tout en suivant mes cours à l’université dans
l’optique d’être titulaire d’un second Master. Je crois n’être jamais autant sorti, avoir autant ri aux
éclats, m’être autant amusée et avoir croisé autant de gens auparavant. Ici, la vie s’accélère et le
sentiment de liberté qui m’envahit et me grise, me faisant arborer un sourire permanent au coin des
lèvres.
Et, pour la première fois depuis longtemps, je peux dire :
Je suis heureuse

 

5 réflexions sur “En milieu tempéré

  1. PPeut être qu’en allant visiter mon blog, vous aurez une surprise…?? (bonne ou mauvaise)

    sinon tant pis, bonne route…

    et CaRPE Diem
    Everclay

  2. J’ai un copain qui a mis comme statut Facebook « le monde a peut-être changé cette nuit » le lendemain de l’election. C’est vrai que je ne realise pas trop. A vrai dire j’étais certain que les americains avaient un racisme refoulé pour paraître politically correct. De la même façon, en France. Il y a qq années j’étais sorti avec une nana magnifique, d’origine Kabyle. Je sentais comme un malaise chez certaines de mes connaissances…
    Bon courage à Quebec, Ella.

  3. He he, ne serait-ce pas le fait d’arriver dans un nouvel endroit et d’avoir un caractère ouvert et curieux en général, qui fait que tu as l’impression que le temps s’accélére ?
    Moi aussi ça me fait la même chose…
    Après je ne doute pas qu’il y ait des grandes différences d’état d’esprit entre le Nouveau Monde et la vieil Europe, et que l’état d’esprit québécois puisse plus te convenir…

    Bon, sur l’éléction d’Obama, j’en ai déjà bien assez parlé sur un autre sujet…Comme tu l’as bien dit, ton commentaire est plus du ressenti personnel qu’une analyse politique.. Il y a des choses intéressantes dedans…

    Je voulais savoir qu’entendais-tu par « la discrimination raciale m’a frappé tous les jours à Paris, pendant 15 ans » ?
    Paris est une ville dure, et c’est vrai que j’ai le sentiment que l’accueil des nouveaux arrivants dans une ville (ou un autre endroit) est parfois moins bon en France que dans d’autres pays…
    Mais bon tout reste avant tout question d’individus

Les commentaires sont fermés.