Elle s’appelle Isabelle. 44 ans, divorcée, “pas mal pour son âge”; comme on dit. Pourtant le matin, quand elle se regarde dans la glace, ce n’est pas ce qu’elle voit. Elle ne voit que la peau qui perd un peu de sa tonicité, quelques taches discrètes qui commencent à apparaître, du gras sur le ventre qui refuse de partir. Ce matin, encore un nouveau cheveu blanc. Une sensation que ses belles années sont désormais derrière elle et qu’elle ne les retrouvera plus. Ainsi, elle n’a pas cru sa chance quand ce jeune homme croisé quelques fois à la machine à café est rentré dans son jeu de séduction. Après quelques verres et beaucoup de rires, il l’a ramené chez lui, ils ont fait l’amour, une fois, deux fois . Quelle fougue, ces jeunes hommes, elle avait oublié. Elle repart le lendemain, la confiance en elle remontée, le sourire aux lèvres.
Elle s’appelle Axelle et c’est une femme libre. Elle aime les hommes, beaucoup, elle en rencontre souvent, elle se donne sans calcul et avec délectation. Ce soir, elle prend un verre avec Tiago, un beau garçon croisé sur Tinder. Ils se cherchent, ils se séduisent. Le contrat est clair : juste du cul, pas d’attaches. C’est donc sans surprise qu’ils finissent ensemble au lit pour une nuit torride. Axelle jouit, Axelle est heureuse : elle prend son plaisir avec un beau garçon après une bonne soirée.
Elle s’appelle Daria. Depuis quelques temps, elle flirte avec ce garçon, Charles, qui est en cours d’éco avec elle. Il est drôle et prévenant. Un soir, il l’invite à prendre un verre ailleurs qu’à la fac. Soirée délicieuse mais elle ne cède pas, elle veut être sûre. Ce ne sera qu’au bout du 3e rendez-vous qu’elle se donnera à ce garçon qui a conquis son coeur.
Le point commun entre Isabelle, Axelle et Daria ? C’est qu’elles sont tombées sur des connards… Mais des connards puissance 10 000 qui les ont photographiées et balancé des photos d’elles nues ou presque prises à leur insu avec des commentaires pas forcément sympa sur leur âge, leur plastique ou leurs performances. Oui, en 2017, ça existe et pour une page Facebook trouvée, celle de Babylone 2.0, il en existe encore beaucoup pas encore débusquées parce que vous vous doutez bien que, nous, les femmes, ne sommes pas les bienvenus dans ce type de groupe fermé.
Quels torts ont eu nos trois demoiselles ? D’avoir une activité sexuelle. Point. Et d’avoir mal jugé une personne, pensant être dans un environnement safe avec lui. Et franchement, l’addition est très salée pour juste une erreur d’appréciation. Alors, oui, il est possible qu’elles ne sachent jamais qu’elles ont été exhibées là mais la situation reste dramatique. Des centaines ou milliers d’individus ont pu voir leur corps, allez savoir ce qu’ils ont pu faire sur ces photos. Et rappelez-vous qu’on ne parle que d’un seul cas, là…
Parce que la femme sexuée est systématiquement brimée. Quand j’écrivais mes aventures sexuelles ici (sans photos, sans vrai prénom ni détails permettant de reconnaître le mec impliqué, des fois qu’un mec ait envie de m’expliquer que je faisais pareil), qu’est-ce que j’ai pu me prendre comme seau d’insultes et de messages de type “va te faire gang banger* connasse” et autres joyeusetés. Dès que j’ouvrais la bouche, j’étais rabaissée par un “ta gueule, restes-en à tes histoires de cul”. Oui parce que le fait que je vive une sexualité épanouie semble me disqualifier pour parler de tout autre sujet… On me renvoyait systématiquement à ça, tout le temps. Mais quel est le rapport entre mon activité sexuelle et ma culture gé ou mes opinions ? Je cherche encore.
Pourtant, on nous l’a vendue cette liberté sexuelle féminine. On regardait Samantha dans Sex and the city mener de front une carrière réussie (enfin, sa carrière, on la voyait que rarement dans la série) et une vie sexuelle débridée, se tapant les plus beaux mecs de Manhattan, dans la joie et la bonne humeur. Idem pour Miranda qui trouva l’amour en se tapant un barman random dans un bar, Charlotte qui finit avec un avocat qui avait pour seul intérêt au départ de la faire grimper aux rideaux et Carrie… Je sais plus. Sauf que non, dans la vraie vie, une femme qui couche est indigne selon les hommes (pourtant ravis de coucher), on peut l’insulter, la dégrader, l’humilier, elle l’a bien cherché. En 2017, on en est encore là et le pire, c’est que je suis moi-même un petit rouage de ce système. Je veux dire pourquoi j’ai arrêté de parler de sexe sur ce blog ? De peur qu’un employeur tombe dessus et ne m’embauche pas alors que… ben ce que je fais de mon cul n’a aucun rapport avec mon professionnalisme (vu que j’ai jamais eu de coït sur la photocopieuse en plein open space donc je ne perturbe personne). Alors je dirais bien que je vais vous reparler de mes histoires de fesses mais vu que je suis désormais monogame, le suspense est un peu limité. Mais on mesure une nouvelle fois à quel point le féminisme est nécessaire aujourd’hui, plus que jamais, car nous sommes de plus en plus opprimées, jusque dans nos libertés de jouir.
J’ai publié un tweet sur le sujet vendredi et j’ai reçu des réactions assez diverses. J’ai passé beaucoup trop de temps à expliquer des concepts féministes de base comme le “not all men” et mansplaining donc je prévois pas mal d’articles à caractère féministe dans les prochaines semaines donc si ça vous ennuie… Ben arrêtez de lire mon blog car je passe en mode poing levé.
* Je l’ai vraiment eu, celui là…