“Moi, je suis pas féministes mais…” donc si, tu l’es. Je sais pas si vous avez remarqué le nombre de phrases commençant par “je suis pas [insérez truc plutôt honteux] mais…” et le reste de la phrase vient précisément démentir cette affirmation. Mais… attendez, en général, on dit ça de quelque chose d’assez honteux genre “je suis pas homophobe” ou “je suis pas raciste” mais alors pourquoi on dit ça du féminisme ? Facile ! Parce que les medias (et les gros machos de merde et leur humour oppressif) nous en donnent une image déplorable.
Alors souvent, ce “rejet” du féminisme n’est pas tant une dépréciation de ce combat mais la volonté de finalement donner plus de poids à son propos. Un peu un “moi, je suis citoyenne neutre et je trouve que ça, ça pose problème”. Je peux comprendre cette posture parce que si tu arrives en tant que féministe sur un débat, le contradicteur va te disqualifier de suite parce que “t’es pas objective” (alors que lui, oui, forcément). Le fait que mon féminisme ait pu m’apporter la réflexion,le recul, les références sur certains sujets (non, je n’entre pas dans une discussion comme un chien dans un jeu de quilles juste pour dire “hé non, je suis pas d’accord parce que je suis féministe, d’abord!”), apparemment, ça ne compte pas parce que je ne suis pas objective. Pourtant, y a-t-il besoin d’être objective pour noter que la situation de la femme en France s’aggrave de jour en jour ? Qu’on peut difficilement sortir dans la rue sans se ramasser le relou dragueur de service et qu’en plus, si on ose s’en plaindre, on est des connasses et on doit essuyer des litres de male tears sur le fait qu’on n’est pas gentilles parce que tu comprends, la drague dans la rue, c’est pas facile (sans doute parce que 9 fois 10, ça nous saoule, on ne vous a rien demandé, foutez-nous la paix). Est-ce mon féminisme qui tue dans une relative indifférence une femme tous les trois jours sous les coups de son compagnon. Est-ce mon féminisme qui me fait lire ou entendre que les journalistes, dégoulinants de paternalisme, se réfèrent aux femmes par leur prénom, couleur de cheveux voire carrément compagnon… ? Mais non, je suis pas objective, merci de sortir du ring.
Mais il reste cette douloureuse impression que le terme “féministe” est mal perçu. Alors regardons un peu mon parcours féministe. Plus jeune, jusqu’à mes débuts par ici, d’ailleurs, je me définissais comme préoccupée par l’égalité homme-femme mais “surtout pas féministe, hein, je suis pas Isabelle Alonso !”. Alors pour les plus jeunes d’entre nous, Isabelle Alonso passait pas mal de temps à l’époque à squatter le plateau de Ruquier, certainement pour l’émission “On a tout essayé” mais j’ai un doute vu que j’ai jamais pu supporter Ruquier (je déteste les gens qui rient de leurs propres blagues et qui débordent de fierté et de suffisance. Même si à ce niveau là, reconnaissons que notre ami Laurent n’arrivera jamais aux chevilles des égotiques suprêmes Ardisson ou Hanouna, dans des styles très différents pour le coup). Et donc je détestais cette brave Isabelle parce que… et bien dix ans plus tard, je suis plus bien sûre. Je me souviens d’une chronique de Guy Carlier qui se moquait de ce féminisme de salon qui se bat pour des clopinettes car les vrais combats sont ailleurs. Oui, je n’avais pas bien notion du mansplaining à l’époque. Et puis y avait ce combat contre une pub Fleurette “oh ça va, c’est bon, c’est de l’humour”, haussais-je les épaules, ignorant le concept même d’humour oppressif. Bref, j’étais au degré zéro du recul et de la réflexion. Les medias me disaient que les féministes étaient des hystériques s’agitant sur des combats “moins importants que le viol ou la violence conjugale”, je les croyais. Féministe, moi ? Ah non, pas du tout !
Puis j’ai eu ma période “égalitariste”. Je n’étais pas féministe mais égalitariste parce que je voulais l’égalité entre humains quelque soit leur sexe ou couleur ou origine sociale. Je le suis toujours, hein, sauf que j’ai compris un élément essentiel : pour arriver à une égalité entre les sexes, le rattrapage ne peut se faire que du côté des femmes vu que les hommes sont dominants et que l’égalité ne peut se faire en renonçant à certaines choses mais bien en donnant à tout le monde la même chose. Donc féminisme (pardon pour cette explication horriblement bâclée). Et lutter pour le droit des femmes, c’est aussi bénéfique pour les hommes en les débarrassant du poids du patriarcat qui rend par exemple difficilement envisageable en 2016 qu’un homme puisse prendre un congé parental pour élever son petit. Bref, petit à petit, en lisant la prose de féministes, en comprenant qu’il ne s’agissait pas d’un bloc parlant d’une même voix et que j’avais tout à fait le droit de me dire féministe et de ne pas cautionner tout ce qui sort de la bouche d’une féministe. Alors, oui, ok, je suis féministe. Malgré mon fard sur les yeux, le noir sous mes yeux, ma traque (ok très relative) du poil et ma liste un peu longue de personnes ayant mélangé leur corps nu au mien.
Sans doute qu’on ne naît pas féministe mais qu’on le devient (une référence subtile vient de se glisser ici), c’est une démarche, une réflexion. Et le premier pas, c’est de détricoter l’image négative de celles qui lèvent le poing encore aujourd’hui pour défendre le droit des femmes. Parce qu’en 2016, ça va vraiment pas mieux. Allez ma soeur, n’aies plus peur et ouvre les yeux. Ah, par contre, je te préviens, une fois que tu découvres les mécanismes parfaitement huilés du patriarcat, le monde devient un endroit bien laid. Mais à nous de relever le gant pour en faire quelque chose de mieux.
Aaaaaah ! Merci !
Comme je suis d’accord !
Depuis que j’ose dire que je suis féministe, je suis passée de la petite fille gentille et aimable à la rabat-joie de service ! Alors que je suis bien loin d’installer un débat féministe à chaque seconde …
La société a un véritable problème avec ce terme.
Tout d’un coup, c’est moi qui m’invente les problèmes avec mon oeil biaisé de femen, c’est incroyable.
Mais tellement ! Dès que je dis que je suis féministe, je sens comme un flottement, surtout auprès des gens qui ne me connaissent pas plus que ça en mode « oh non, v’là la casse-couille de service ». Du coup, quand je vois des nanas dire « je suis pas féministe, mais », j’interviens en disant « si, tu l’es et c’est pas un gros mot, tu sais ». Surtout que le féminisme n’a rien de monolithe ! Je grimace à certaines actions des Femen (et surtout leur comm catastrophique, je ne comprends pas le but de leurs interventions la plupart du temps, le message en sous texte), je ne veux plus entendre parler de Caroline Fourest. Beaucoup de sujets font débat au seins de la féminosphère et je crois que c’est justement une bonne nouvelle ! Par contre, j’aimerais qu’on apprenne à ne pas rejeter une parole féministe juste parce qu’une autre n’est pas d’accord ou qu’une femme, quelque part, a dit « oh bé moi, ça me gêne pas de me faire draguer dans la rue ! », par exemple.
Réflexion très intéressante. Je deviens féministe de plus en plus. En effet, le modèle patriarcal dans la société d’aujourd’hui fait peur… J’ai même l’impression qu’on régresse 🙁 (IVG, congé parental, etc…)
Merci pour cet éclairage!
ps qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe: Au quotidien, je ne porte plus de soutien gorge depuis plusieurs mois et j’avoue que ça fait un bien fou et que je suis fière de sortir de ce carcan inutile…
Ah, j’ai testé la vie sans soutif, j’ai un peu laissé tomber du fait que j’ai une très grosse poitrine et j’avais l’impression que ça se voyait vraiment (ma soeur me l’avait fait remarquer, un jour, d’ailleurs « hé mais t’as pas mis de soutif!).
Mais effectivement, je perçois vraiment une régression à tous les niveaux : sur nos droits acquis, sur nos luttes : les féministes sont systématiquement dépréciées parce que bon « ça va, vos grands-mères ont gagné tous les combats, vous voulez quoi de plus ? » Oh ben en vrac : l’égalité totale des chances, le même salaire, la sécurité, la considération, la liberté… Vraiment, on a tout obtenu ? Vraiment ?
Salut ! J’écris ce commentaire pour te dire mon point de vue, je n’habite pas en France, je suis Canadienne, demeurant à Montréal, donc je te donne mon ressenti en tant que femme d’ici.
Personnellement, je suis pour l’égalité tout court dans le monde ! Que tu sois une femme, un homme, un transgenre, blanc, noir, jaune, bleu ou peu importe ! J’ai envie que les gens soient égaux ! Mais je ne suis pas féministe ! Par tout je vois des discours dire que la femme n’est pas l’égale de l’homme et tout, mais moi, dans ma vie, dans mon travail, dans mon quotient de tous les jours, jamais je ne me suis senti inférieur, car j’étais une femme. Jamais je ne me suis sentie blesser ou attaquer, car j’étais une femme ! Je me suis plutôt senti attaqué et oppresseur par d’autres femmes. Quand je reçois des commentaires désobligeants sur mon poids, mon allure ou autres, ça vient de femmes !
Ce que j’ai remarqué de beaucoup de féministe, elles veulent être égalitaires envers les hommes, elles veulent un meilleur salaire, elles veulent du respect, elles veulent mille et une choses, mais est-ce que nous les femmes ferons de même pour les hommes ? Oh que non ! Les femmes sont bonnes pour ce plaindre des blagues sexistes que font les hommes… mais quand ce sont les femmes qui lancent ce genre de propos commentaire c’est accepté ? Mais bien sûr !
Voici quelques exemples de propos sexiste envers les hommes : « Tu portes du rose, tu dois être gai ! » — « Tu pleures, tu es une lopette » — « Tu es un homme au foyer ? tu dois être un homme soumis »
En ce qui concerne les salaires, quand c’est à compétence égale, je suis d’accord que le salaire doit être équitable ! Mais faut être logique et allée selon ses compétences et selon ce qu’on va faire comme travail ! C’est évident qu’une secrétaire, ne va jamais gagner le même salaire qu’un PDG ou médecin et ce qu’elle soit une femme ou non ! Faut comparer des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges !
Tout ce que je souhaite pour l’avenir, c’est que tout le monde soit égal, et surtout que les gens arrêtent de se jalouser et critiquer entre eux. Tu veux quelque chose, work for it ! Faut arrêter un moment donné de toujours mettre la faute sur les autres !
Hello Jessica ! Merci pour ton commentaire qui me sert la soupe pour parler de la domination masculine intériorisée, comme dirait notre ami Bourdieu. Je vais reprendre ton comm point par point car il y a beaucoup de choses à dire :
– L’égalité pour tous : c’est ce que je disais dans mon article, je suis profondément « égalitariste » mais quand tu observes un rapport de domination/soumission entre deux groupes, pour obtenir cette fameuse égalité, il faut donc se battre pour donner plus de droits au groupe dominé. Par exemple, si j’ai appuyé le mariage pour tous, c’est que je considère que nous devrions tous avoir les mêmes droits et avantages (en France, le PACS n’offre pas autant d’avantages que le mariage, je ne sais pas ce qu’il en est au Canada). Donc, il fallait donner plus de droits aux couples homos pour que tous soient à égalité.
– Les femmes sont tes oppresseurs : et nous rentrons dans le cadre type de la domination masculine intériorisée. Reprenons ton exemple de critique sur le physique : qui enferme la femme dans un rôle d’apparat si ce n’est l’homme au départ ? Pourquoi voulons-nous être mince à tout prix ? Parce qu’on nous a appris qu’il fallait plaire aux hommes (dans un schéma archaïque binaire où les femmes ne peuvent désirer que des hommes et se faire épouser par eux, accessoirement pour se faire entretenir par la suite. On retrouve encore cette notion dans le très à la mode « daddy sugar » où un homme d’âge certain se montre très généreux avec une jeune femme qui a pour principale qualité d’être attirante). Le fait que les femmes te fassent subir les diktats mis en place par le patriarcat ne veut pas dire que ce n’est pas ce patriarcat le problème. Ici, tu t’en prends au messager.
– « elles veulent être égalitaires envers les hommes, elles veulent un meilleur salaire, elles veulent du respect, elles veulent mille et une choses, mais est-ce que nous les femmes ferons de même pour les hommes » -> je vois pas trop l’intérêt de me battre pour donner aux hommes ce qu’ils ont déjà… Le féminisme, c’est réclamer l’égalité entre les sexes, ça n’aurait pas de sens de réclamer un surplus pour les hommes. Par contre, le féminisme, en luttant contre les schémas traditionnels des répartitions des rôles entre hommes et femmes, permet également plus de liberté aux hommes. Par exemple, un homme pourrait tout à fait prendre un congé parental sans que personne ne sourcille car l’homme ne serait plus alors celui qui a mission de rapporter l’argent à la maison. Tes exemples sont des conséquences du patriarcat, justement.
« C’est évident qu’une secrétaire, ne va jamais gagner le même salaire qu’un PDG ou médecin » -> donc pour toi, une femme ne peut pas être PDG ou médecin et je t’avoue que là, je me retiens d’être désagréable. Evidemment que nous réclamons un salaire égal pour un poste égal mais sache, aussi incroyable que ça puisse te paraître, que de nombreuses femmes sont PDG, médecins, avocats… D’ailleurs en France, on estime que vers 2022, il y aura une majorité d’étudiantEs dans les facs de médecine (source : http://www.la-croix.com/Ethique/Medecine/Les-femmes-sont-l-avenir-de-la-medecine-_NP_-2013-02-28-916181).
Bref, je pense que tu es victime de l’image déplorable que l’on donne au féminisme dans les médias et que tu ne t’es pas vraiment penchée sur le sujet. Je te donne donc quelques références :
– Bourdieu et la domination masculine intériorisée : http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2003.bardelot_e&part=71146 et https://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/BOURDIEU/3940
– Un article intéressant sur le plafond de verre (qui empêche les femmes d’accéder à des postes à responsabilité) : http://www.scienceshumaines.com/peut-on-en-finir-avec-le-plafond-de-verre_fr_22408.html
– Des stats sur la différence de salaires : http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=972&id_groupe=15&id_mot=104
– 2 articles sur « pourquoi féminisme et pas égalitarisme » : https://usilive.org/opinions/pourquoi-je-suis-feministe-et-pas-egalitariste-2/?lang=fr et https://cafaitgenre.org/2013/09/02/arguments-anti-feministes-4-on-devrait-se-debarrasser-du-terme-feminisme/
Il y a des centaines d’autres articles super intéressants mais ceux là me paraissent pas trop mal pour commencer.
Bonne journée !
Je me souviens adolescente avoir découvert le roman d’Isabelle Alonso « Roman à l’eau de bleu » via une interview qu’elle donnait sur un plateau télé Belge. Je ne la connaissais pas, je n’avais jamais entendu parler de féminisme, mais son roman m’avait intéressée et je l’ai donc acheté.
Purée comme j’ai pu être critiquée… Chaque fois que je conseillais ce roman ou en parlait, on me répondait « c’est une féministe » avec une pointe de dégoût, comme si c’était mal, comme si tout son être se résumait à ce mot « féministe ». Et que ça réduisait la valeur de son roman à 0.
J’avoue ne jamais avoir cherché à en savoir plus sur elle, peut être était elle du genre très agressif ? Qu’importe, son roman était à la fois drôle (pour mon esprit de 16 ans) et une vraie critique de la place des femmes dans la société. Sans elle, je ne serais pas féministe aujourd’hui.
Mais effectivement, dans mes rapports avec les gens, si j’ai « le malheur » de dire au détour d’une conversation que je suis féministe, c’est bon, on me catalogue et on clos tout le débat par « de toutes, tu es féministe ».
Je suis féministe, ou égalitariste, tout dépend de la définition qu’on en donne. Pour moi le féminisme, c’est vouloir les mêmes droits pour les gens quels que soit leur genre, leur couleur, leur nationalité, leur religion… En ça je sais que je suis en désaccord avec d’autres féministes, mais qu’importe ? On ne demande pas à tous les catholiques d’être d’accord avec le pape, ou aux américains d’être tous d’accord avec Trump. C’est pareil.
Bravo pour ton article !