11 ans, 11 ans que je blogue. Je suis passée d’un journal extime populaire à une sorte de cahier de brouillon où j’écris sur tout ce qui me passe par la tête, sans chercher à en faire quelque chose. 11 ans durant lesquels j’ai été intégrée à la blogosphère avant de m’en sortir peu à peu. En gros, avant, j’étais au coeur du système, aujourd’hui, je gravite en dehors. Si je ne suis plus la blogosphère, certains éléments arrivent parfois jusqu’à moi arrivant encore à me choquer par leur indécence.
Let me introduce Emily Meyers, une jolie blogueuse rousse, maman de 5 enfants, qui partage tous les éléments de sa vie en photo… Jusque là, rien de vraiment choquant, ça arrive partout même si, déjà, exposer à ce point ses enfants me dérange un peu pour eux. Mais là où le malaise est total (vraiment total), c’est quand notre blogueuse met en scène la maladie de sa compagnon… et son enterrement à travers les clichés d’un photographe professionnel. Alors déjà, question : qui paie un photographe pour immortaliser un enterrement mais surtout : est-ce qu’il n’y a pas un ENORME problème à poster sur son blog des photos de soi tirée à quatre épingles en train de montrer sa tristesse devant un cercueil ?
C’est là que je me pose la question des limites à ce qui est montrable ou pas. Chacun met le curseur où il veut, certes, et on me dira que je ne suis pas obligée de lire le blog d’Emily (à dire vrai, je ne connaissais pas son existence avant que la reine Zénobie commence à en parler sur Twitter). Je suis allée voir… et j’étais tellement mal à l’aise. Mais au delà de ce fait “divers”, ça pose la question des limites du journal extime. Et rassurez-vous, avant de distribuer les mauvais points, commençons par balayer devant ma porte.
J’ai moi-même manqué de pudeur au tout début de ce blog. Parce que ça nous faisait marrer d’être trash, de raconter nos histoires de fesses parce que c’est léger, ça ne fait de mal à personne et que nous ne postions pas de photos intimes. Notez que je ne juge pas ceux qui posteraient des photos intimes, tant que toutes les personnes sur le cliché sont consentantes. Bref, des tas de gens venaient ici se repaître de nos (més)aventures sexuelles, certains espérant s’accrocher à nos tableaux de chasse puis la vie faisant, on a fermé les portes. Essentiellement au lancement de nos vies professionnelles : on peut nous retrouver si on se prend la peine de chercher, j’ai pas forcément envie que mes collègues soient au courant que je me suis adonnée à la levrette fessée la veille, c’est pas le lieu. Depuis, ma vie se dessine ici en filigrane : je parle parfois de boulot, parfois de ma vie perso tant sur mes amours (au singulier depuis bientôt deux ans, d’ailleurs), mes amitiés que sur ma famille avec mes deux amours Saturnin et Pivoine (qui est mobile maintenant, qu’est-il donc arrivé à ce tout petit bébé ?). Je parle pas mal de mes voyages aussi mais beaucoup de choses restent désormais hors de portée du lecteur. Auto censure ? Non, juste je ne ressens pas toujours la nécessité d’en parler. Il m’est arrivé d’écrire des articles sanglants sur des choses qui m’arrivaient mais une fois écrites, j’étais calmée et je n’avais pas envie de partager ça, mon fiel avait été essoré.
Mais la question reste, finalement : pourquoi s’expose-t-on et quelle limite se mettre ? Quand je parlais de fesses, j’avais plein de lecteurs et nous étions dans une sorte de cercle… presque vicieux : plus ça parlait cul, plus l’audience grossissait, plus fallait en donner. Un peu grisant sauf que… ben à un moment, t’as envie de profiter de ta petite caisse de résonance pour parler d’autres choses, de sujets un peu plus sérieux… Et là, ça intéresse moins. Peut-être aussi parce que j’ai plus du tout joué les community managers de mon blog (pas envie de rapporter du travail à la maison, quelque part) : au chômage, je répondais à tous les comms en peu de temps. Une fois mon premier CDI décroché, forcément, mon temps libre s’est fortement réduit… Je pourrais reparler de cul en narrant mes expériences passées jamais racontées sur le blog pour voir si ça relancerait le machin mais… j’en vois juste pas l’intérêt. Puis je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui, ce soit ce qui marche vraiment, les gens ont envie soit d’information (sur des produits culturels ou cosmétiques, selon vos centres d’intérêt), soit de blogueurs/blogueuses qui seraient un peu comme un grand frère ou grande soeur virtuelle. Du coup, on expose quoi ? Faut-il en donner toujours plus pour rester “au top” ? Serais-je prête à exposer des moments si intimes pour gagner des lecteurs ?
Ca pose aussi la question de la mise en scène de soi : que veut montrer Emily ? Si je reprends mon cas, au début de ce blog, le but était de raconter la vie amoureuse et sexuelle d’une bande de potes, façon Sex and the city, on voulait montrer une jeunesse décomplexée et fêtarde (mais ça a sans doute sonné plus d’une fois “notre vie, c’est de la merde alors on boit et on baise pour oublier”). Aujourd’hui, c’est plus “jeune vieille conne qui ne comprend plus le monde dans lequel elle évolue et qui essaie de s’accrocher à l’espoir mince que le monde peut être plus beau demain” et aussi “j’essaie plein de trucs parce que j’adore découvrir”. C’est ce que j’expose, ni plus, ni moins. Ce qui ne rentre pas dans ce cadre là, je n’en parle pas parce que… ben rien ne m’y oblige.
Mais mon blog n’est pas le centre de ma vie. Ce n’est pas mon gagne-pain, je “travaille” dessus en dilettante, je ne fais rien pour en faire une machine de guerre parce que je n’ai juste pas envie d’en vivre, pas envie de me prendre la tête pour savoir quoi raconter histoire de garder mes vues et mes revenus. Et c’est peut-être là, la différence avec Emily : clairement, son blog lui sert à gagner de l’argent (elle a notamment relayé son kickstarter pour les aider, son mari et elle) donc il faut tout donner pour ne pas perdre son niveau de revenus. Et la question reste : qui est le plus coupable entre le blogueur qui se livre sans filtre et les lecteurs qui restent là à regarder ?