Jeudi matin, je quitte mon appart, à peu près fraîche et prête à affronter la journée. Alors que je chemine, un peu perdue dans mes pensées, un mec m’interpelle “bonjour… Bonjour… Oh bonjour ! Oh ! Tu pourrais répondre, déjà que t’es pas belle !”. Alors évidemment, je lui ai un peu pourri la gueule. Parce que j’en ai marre de me prendre des giclées de domination masculine dès que je fous un pied dehors.
Le problème n’est pas tant ici l’agression verbale. Ce monsieur a le droit de ne pas me trouver à son goût (mais dans ce cas, il aurait été tellement plus plaisant qu’il ne m’adresse pas la parole, n’est-ce pas) même si je m’interroge quant au besoin de verbaliser ça. Je ne sais pas, je ne me sens pas obligée d’indiquer aux hommes qui ne me plaisent pas et que je croise dans la rue que je les trouve laids. Le problème ici c’est qu’une fois de plus, mon tort a juste été de pénétrer dans l’espace public. Je portais certes un short très court mais a) en été, je n’aime pas porter ma combinaison de ski, b) si j’achète des jolies fringues, c’est pour les porter, c) il m’arrive assez régulièrement d’avoir envie d’être jolie et surtout d) je fais ce que je veux, connard. Mon short bien court n’est une invitation à rien surtout si je ne réponds pas à ton premier bonjour. Je t’ai vexé en ne te répondant pas ? Je ne t’ai pourtant pas insulté… enfin, avant que tu fasses ton macho de base en me traitant de “pas belle”,là, j’avoue, ton “connard”, tu l’avais bien mérité.
Le problème de cette insignifiante anecdote, c’est que ça nous rappelle une nouvelle fois que nous, les femmes, ne sommes pas les bienvenues dans la rue. Féminines, nous sommes priées de nous plier aux envies de ces messieurs qui se considèrent sur leur territoire alors que nous ne faisons que de le traverser. Je dois répondre à un monsieur qui me parle sous peine de me prendre une agression verbale alors que je ne demandais qu’à me rendre au travail tranquillement, sans rien demander à personne. On ne se rend pas compte à quel point la place de la femme dans la rue est une bataille constante. Un exemple ? Cet excellent épisode du Meufisme :
Parce que si on traîne tard dans la rue, les mecs peuvent s’amuser à nous coller ou à nous demander nos tarifs, histoire de souligner, rigolards, que notre place n’est certainement pas ici.Une femme seule dans la rue est une incongruité, une anomalie qui semble autoriser le mâle plafonné à venir la mettre mal à l’aise avec des remarques déplacées ou une tentative de drague qui n’a souvent pas pour but de draguer mais bien de continuer à asseoir la domination masculine : tu es sur notre territoire, nous pouvons donc faire de toi ce que nous voulons.
« Ah oui mais avec des conneries comme ça, on peut plus vous draguer, aussi ! ». Ca tombe bien : on n’en a pas envie. Surtout si je tombe sur du lourdaud premier choix qui mesure ma beauté à ma capacité à me soumettre à sa volonté de mâle alpha. Je réponds : belle, je réponds pas : pas belle. Gnééééé ! « Oui mais y a cette fille, elle est belle et je suis pas un dragueur de rue, moi ». Alors observe la. Marche-t-elle d’un pas pressé ? Te rend-elle tes regards insistants ? Pianote-t-elle son smartphone avec ardeur alors que tu tentes un eye contact ? A priori, tu sauras dès le départ si elle est prête à te laisser ta chance ou si ça va la déranger que tu l’abordes. Oui parce que pardon mais la rue n’est pas un site de rencontre, j’y suis en général pour des raisons beaucoup moins romantiques (aller au travail, au hasard) et je n’éprouve jamais de plaisir à coller un râteau à quelqu’un. Donc oui, me faire draguer me dérange (non, je n’ai pas besoin de me rassurer sur mon pouvoir de séduction et non, tes compliments ne me font pas plaisir vu qu’ils sont intéressés et qu’une fois sur deux, tu les retireras en les remplaçant par une insulte) surtout quand le mec insiste louuuuuurdement. Mais oui, je les ai bien entendus tes 5 bonsoirs mademoiselle, j’essayais juste de nous éviter un moment gênant et pénible à tous les deux.
La rue m’appartient autant qu’à toi connard et je vais pas remiser mon joli short au placard juste parce que je te dérange. Et la prochaine fois, viens me dire en face que je suis pas belle plutôt que de le marmonner dans mon dos, petite merde sans courage.
Pour ceux qui ont encore du mal à comprendre pourquoi la drague de rue, c’est ultra chiant, un peu de lecture avec le Projet Crocodiles qui t’explique quand la drague est subie et pas appréciée (des fois que)
Une réflexion sur “La rue ne t’appartient pas [connard]”