Par Diane
Vingtenaires, Vingtenairettes, jeunes, vieux, lecteurs chéris mon amour
Aujourd’hui, sujet vaste et anxiogène s’il en est, puisqu’il me vient l’envie de vous parler du temps qui passe.
Vous savez, cette espèce d’entité informe et insaisissable dont nous avons l’impression d’être le jouet favori, qui a cette caractéristique tellement singulière d’être à la fois extrêmement stable et sans surprise (une minute fera toujours 60 secondes, et cette minute durera tout autant à un bout ou à un autre du globe), et pourtant également tellement poreuse, perméable, étirable…. Cela me fait penser à ces sortes de machines à guimauve que l’on voit dans les fêtes foraines vous savez, qui étirent et malaxent sans fin une grosse pâte rose… Eh bien cette pâte c’est ma vie, c’est la vôtre. Parfois elle est courte, elle forme une petite boule confortable et moelleuse: au chaud sous la couette les matins de grasse matinée, au fond du hamac dans le jardin de ses grands-parents, à savourer les dernières lignes d’Orgueil et Préjugés…; et puis parfois, la pâte s’étire, s’étire à n’en plus finir, au point que l’on a peur qu’elle se déchire: un cours de phonétique historique,une lettre qui n’arrive pas ou une attente dans un couloir d’hôpital blanc et froid…
Si vous avez été comme moi un(e) adolescent(e) dans les années 90, vous avez dû voir 457 fois le cercle des poètes disparus où John Kitting et tous ses jeunes sbires nous serinent comme une litanie maudite le fameux « carpe diem » d’Horace…souvenez-vous le petit poème introducteur des séances des poètes disparus au fond de la grotte obscure: « je partis dans les bois parce que je voulais vivre sans me hâter. Vivre intensément et sucer tout la moelle secrète de la vie. Je voulais chasser tout ce qui dénaturait la vie pour ne pas, au soir de la vieillesse, découvrir que je n’avais pas vécu » (pfiouuu par coeur, j’ai vraiment dû le voir 457 fois ce film…).
Alors bien sûr, petite adolescente naïve et avide de beaux sentiments, je trouvais ça tellement beau: allez, Diane, profite du jour présent, vivez si m’en croyez, n’attendez à demain, cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie!
Tempus fugit hein, alors c’est pas tout ça mais il va falloir cueillir le jour vite fait.
Certes messieurs, mais qu’est-on censé faire? C’est quoi « profiter du jour présent »? J’ai eu l’occasion dans ma vie de rencontrer une ou deux personnes dont c’était le credo absolu, et qui m’expliquaient qu’ils ne voulaient pas gâcher leur vie, qu’on en n’avait qu’une etc etc… En gros, ça se manifestait de deux façons différentes. L’une avait pour principe de vie de tester des trucs différents tout le temps: jamais les cheveux de la même couleur, elle faisait un jour du skate board, un autre du parachutisme, le troisième jour elle fit du macramé, et le septième jour….elle ne se reposa point, parce qu’il ne fallait pas gâcher du temps à profiter. L’autre personne avait comme conviction personnelle que pour profiter de sa vie il fallait traverser le globe en long, en large et en travers, rencontrer touuuuutes les personnes de la terre, et se prendre en photo dans tous les pays du monde.
Et moi et moi et moi…je m’interroge. Je me demande comment on peut profiter de sa vie. Si justement, le fait de se rendre à tel ou tel événement, dans tel ou tel pays, ou de pratiquer telle ou telle activité, et une fois là , de plisser les yeux fort en se disant « gniiiiii allez allezzzzz, profiiiiiiiiite! » n’est pas un peu vain et contraire au but qu’on se fixe. Si l’angoisse du temps qui passe ne finit pas par le gâcher, ce temps qui passe. Comme le dit mon pote Alphonse:
« Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! (…)
Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore
Va dissiper la nuit. »
Bref, aussi fort qu’on puisse frénétiquement ordonner « ô temps suspends ton vol », eh bien fi, il ne suspend rien du tout le bougre, et le temps de vouloir suspendre le temps, eh bien….le temps est passé. Il n’y a que le monde qui reste, il n’y a que le temps qui dure. Et en a t-on profité? Pensez à tous les touristes qui passent leurs temps de vacances suspendus à leur appareil photo: « clic clic clic clic » pouf!….a pu le paysage, il fait nuit. L’as tu seulement regardé?
Enfin bon, c’est bien joli tout ça, mais en pratique, un seul d’entre nous arrive t-il à ne pas craindre le temps qui passe? Qu’il est dur de ne pas regretter le passé et les douces heures de notre enfance moelleuse, de ne pas sentir l’anxiété du temps présent qui nous échappe dès qu’on le regarde, et de ne pas craindre le futur où jamais rien n’est
certain…
Si comme moi vous êtes sur le chemin de la trentaine, vous commencez à sentir que la jeunesse insouciante ne vous appartient plus, vous commencez à dire des choses comme « quand j’étais jeune, il n’y avait pas de portable, eh bien on survivait! » ou « ils ne font qu’être rivés à facebook toute la journée, ils pourraient sortir un peu quand même, ça leur ferait
pas de mal »;…vous commencez à regarder les vieux….oups, les personnes âgées (restons politiquement corrects) en vous disant que ahhhh vous voulez pas être vieuuux, ils peuvent même pas courir c’est nul. Et les petites vieilles ont toutes le même brushing bouffant innommable, je ne veux pas en arriver là.
Mais cette pensée est absolument vaine, le temps passe et nous passons, alors je vais cesser là ces sombres paroles cathartiques, et je vais vous laisser avec mon ami Victor qui, lui, semble avoir construit une jolie passerelle entre jeunesse et vieillesse. Lisez donc le sublime sonnet suivant, adressé à l’actrice Judith Gauthier (fille de Théophile, soit
dit en passant) qui fut sa maîtresse. Quand il écrivit ce sonnet, Hugo avait 70 ans, Judith Gauthier en avait 20.
Ave, Dea ; MORITURUS TE SALUTAT
A Judith Gautier
La mort et la beauté sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d’ombre et d’azur qu’on dirait
Deux sœurs également terribles et fécondes
Ayant la même énigme et le même secret ;
O femmes, voix, regards, cheveux noirs, tresses blondes,
Brillez, je meurs ! ayez l’éclat, l’amour, l’attrait,
O perles que la mer mêle à ses grandes ondes,
O lumineux oiseaux de la sombre forêt !
Judith, nos deux destins sont plus près l’un de l’autre
Qu’on ne croirait, à voir mon visage et le vôtre ;
Tout le divin abîme apparaît dans vos yeux,
Et moi, je sens le gouffre étoilé dans mon âme ;
Nous sommes tous les deux voisins du ciel, madame,
Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.
alors que dire a 50 !! là tu m’as filé un sacré coup dès le matin, n’en déplaise a Victor…
A regarder les « vieux », je ne me dis pas, c’est nul ils peuvent plus rien faire mais plutot, j’espere atteindre ce jour, cet age ou le regard sur la vie change a nouveau, retrouve ses racines dans l’enfance et ses petits plaisirs.
En attendant ce jour, je fixe mes priorites, profiter du present est important, ca ne veux passe dire qu’il faut que je saute d’un avion en parachute. J’ai peur des avions, j’aime pas chuter dans le vide, je ne vais pas me forcer non plus. Par contre, j’ai des passions, des trucs qui me remplissent d’emotions et que je ne repporterai jamais dans le futur au risque de ne jamais les vivre. Pour moi, ce sont simplement les moments en famille autour d’un bbq dans le jardin, m’amuser avec mes neuveux et nieces, voyager un peu, ou encore apprendre a une quizaine d’american teenagers a jouer au foot.
Pour moi, profiter de la vie c’est réaliser ses rêves et s’en créer de nouveaux…
Il y a quelque part encore de la transgression à aller à l’encontre de l’idéologie judéo-chrétienne consistant à se restreindre toute sa vie « terrestre » pour sinon accéder au « paradis », au moins mourir en pleine santé…
A côté de ça, à trop vouloir vivre le moment présent, on en oublie qu’il ne suffit pas forcément de faire tout ce que l’on désire pour être heureux. Bref, nageons en plein paradoxes.
P.S. j’ai été ado dans les 90s et j’ai jamais vu le cercle des pouèt!
vaste sujet…
Parce que je suis une adepte du Carpe Diem, mais qu’en même temps, je suis bien consciente que tout va trop vite et que les jours/semaines/mois sont trop courts. Raison de plus pour en profiter. Car le « carpe diem » ne s’attache pas qu’aux grandes expériences, mais à chaque petit bonheur, ceux qui sont simples et qu’on oublie trop souvent, par simple habitude : un bon repas, un verre entre amis, un livre passionnant, une rencontre époustouflante… ou tout simplement, le fait d’avoir bien mené sa journée, d’avoir fait tout ce qu’on avait à faire et éprouver ce sentiment d’accomplissement. Le Carpe Diem, c’est pas une question de temps, c’est le fait d’être conscient à chaque instant. Et de vivre ces instants le plus intensément possible!
Mon dieu que de sagesse… si vous arrivez à faire ça sans jamais tomber dans l’angoisse tempus fugit, eh bien je vous tire mon béret.
Matt: Jamais? J’y crois pas.
P.s: désolée Philou, j’ai les angoisses contagieuses…!