Par Diane
Un beau matin de juillet que les petits zoziaux zoziautaient et que le gros soleil soleillait, Bob le grillon se promenait dans un petit champ de lavande aux senteurs exquises qui fragrait à ne plus se sentir sentir sous un beau ciel de provence. Tandis qu’il lustrait un peu ses pattes en jetant un coup d’antennes au dehors pour détecter la présence d’un éventuel casse croute dans les environs, ne voilà t’y pas qu’il croise, au détour d’un brin de lavande chatouilleur, son vieux cousin Bill.
Ravi de croiser son vieux cousin, il s’apprêtait à aller le saluer et éventuellement lui proposer une chasse aux termites (très goûtus avec un peu de ketchup), quand il s’arrêta, étonné de voir son cousin l’air contrarié, aux prises avec une mini-tronçonneuse (à l’échelle grillonesque, précisons le). Il s’avança alors vers lui:
-« Salut à toi cousin Bill! « -claironna t’il-, « comment te portes tu donc? »
-« Très bien cousin Bob, » lui répondit le premier, toujours visiblement concentré sur l’insolite objet qu’il tenait entre ses pattes. Il le jaugeait, le soupesait, et appuyait sur un ou deux boutons histoire de voir ce qu’ils déclenchaient.
-« Et dis moi cousin, la curiosité me saisit: que comptes tu donc faire avec cette tronçonneuse? »
-« Oh, ça, » répondit Bill en souriant, « vois tu, c’est pour me couper les pattes. Mais en réalité, je me trouve devant quelques petits problèmes techniques. Tout d’abord, l’engin me semble peu maniable. Et de plus, si je le tiens d’une patte pour m’en couper une autre (et ainsi de suite), avec quoi vais-je le tenir pour me couper la dernière? Non, vraiment, c’est un gros problème… » et là dessus il prit un air taciturne et commença une série de manipulations avec son thorax en s’aidant d’un caillou pour tenter de faire tenir la tronçonneuse sans les pattes, échouant à chaque tentative et poussant des gros soupirs de mécontentement. Bob, de plus en plus décontenancé, lui tint à peu près ce langage:
-« Mais dis moi Bill, pourquoi veux tu diable te couper les pattes?? »
Ce dernier prit un air étonné, et, sans cesser de trifouiller sa machine, lui répondit, légèrement agacé:
-« Mais voyons, c’est pour faire comme Cricri! »
-« Cricri? »
-« Mais oui, Cricri le grand Grillon sauveur de tous les grillons! mais de quel champ de lavande sors tu donc? »
Sortant du champ de lavande voisin, Bob interloqué avoua n’avoir jamais entendu parler du grand Cricri, et avoua derechef ne pas bien saisir qui était ce grand Cricri. Un ami à lui? Le propriétaire de la réserve des termites?
Bill, lachant une seconde sa machine, soupira et lui répondit:
« nononon, tu comprends tout de travers. Le grand Cricri est notre sauveur. Il sait tout et contrôle tout. Le grand Cricri est amour. »
-« …et c’est ton grand Cricri d’amour qui veut te couper les pattes pour te sauver? Il te l’a demandé? Je ne saisis toujours pas… »
-« Mais non voyons, je ne l’ai jamais rencontré, personne ne l’a jamais rencontré. »
-« Mais comment sais tu qu’il existes alors? »
-« je le sais, c’est tout. »
-Cette réponse le laissant perplexe mais voyant qu’il n’obtiendrait pas davantage sur le sujet, Bob relança Bill sur cette histoire de pattes coupées qui décidemment l’intriguait beaucoup.
-« Eh bien vois tu, le grand Cricri lors de sa grande traversée du champ de lavande maudit, se fit couper les pattes par une moissonneuse batteuse de tous les diables.Et après, elles ont repoussé presque instantanément! Ainsi, pour être un bon grillon, je dois aussi me couper les pattes. C’est parfaitement logique. » ….et, prenant un air docte (car il allait à l’école grillonesque), il ajouta: « oui, parfaitement logique, tous les philosophes te le diront, c’est une méthode imparable qui s’appelle syllogique. Les chats sont mortels, socrate est mortel donc socrate est un chat.
parfaitement logique, te dis-je, donc il faut que je me coupe les pattes » et sur ces belles et doctes paroles il reprit son instrument.
Bob écarquilla les antennes et répondit à Bill, la voix un peu échauffée:
-« je ne sais pas qui est ce chat Socrate, mais je peux te dire que vouloir se couper les pattes à cause d’un champ de lavande maudit et d’une moisonneuse batteuse, c’est bien bêt….c’est bien humain! et que vas tu bien pouvoir faire sans tes pattes? MMmm? Comment te déplacer? comment attraper les termites? tu n’aurais plus l’air d’un grillon! A vrai dire, tu n’auras plus l’air de rien! Je refuse de te laisser faire ça! » et là dessus Bob entrepris de lui oter la tronçonneuse des pattes.
Bill se facha tout rouge:
-« EEeeehh mais dis donc, veux tu lacher ça! Occupe toi donc de ce qui te regarde! Si je veux me couper les pattes, c’est mon affaire! c’est ma liberté individuelle de grillon! Et si j’ai envie d’être un grillon sans pattes, pourquoi ne le pourrais je pas, puisque c’est mon choix? »
Bob, estomaqué, balbutia: « m-m-mmais, parce que ce choix là va t’empêcher de pouvoir faire d’autres choix dans ta vie! que oui, je ne suis pas toi, mais je suis un grillon, je suis ton cousin, et je n’ai pas envie que tu deviennes un thorax grillonant, un semblant de grillon! Et pour tes petits grilloneaux, hein? Crois tu vraiment que te couper les pattes soit dans leur meilleur intérêt?
Bill souffla en reprenant vigoureusement sa dangereuse machine: -« Rhhoo, laisse moi tranquille! De toute façon, réfléchis un peu: si je coupe mes pattes, elles vont repousser, comme celles du grand Cricri! Ainsi j’aurais mes pattes, je suis un bon grillon, ,et j’aurais ma piscine de termites grillées promise à tout bon grillon. » Et là dessus il s’éloigna.
Bob, à court d’arguments, ne sachant que répondre à l’imparable logique de son cousin, se mit à marcher, pensif, dans ce champ de lavande dont le parfum commençait à faiblir. Au bout de quelques brins, il croisa un groupe de trois grillons en pleine conversation, dont l’un tenait un couteau suisse, l’autre un katana et le troisième une pierre à aiguiser.
Il commença à faire quelques pas en leur direction, puis se ravisa. N’ayant sur lui qu’un peu de bon sens, il décida de tourner les pattes et de retourner dans son champ.
J’adore !!! Chacun tirera les conclusions qu’il veut ! Merci Diane !
interessant cette allegorie ! bon, bref on garde ses pattes, bien. mais pour aller où ?? ne peut on pas en couper une petite, enfin un petit bout histoire de voir, histoire de tester quitte a se balader ensuite avec une patte un peu diminuée…? ça me rappelle ce passage dans little big man, ou le saltimbanque qui emploie Jim perd un membre a chaque passage : dans toute entreprise jim, il y a une particule de risque…
(ordi a buggé, je reprends, désolée si commentaire X2) je disais donc:
Oui lucas, l’un des avantages de l’allégorie est que chacun y voit ce qu’il veut bien y voir, et souvent tout autre chose que ce que l’auteur avait en tête à la rédaction. Un de mes amis m’expliquait dernièrement et très sérieusement que le pied était un symbole évident et emminent de la fertilité….ah bon?
Et quand à little big man, je l’avoue, je ne l’ai pas vu. Mais ça m’a l’air sympathique, je comblerais mes déplorables lacunes cinématographiques sous peu.