Mon enfer

Par Ella Sykes

Il y a deux jours, j’ai reçu mes notes de la session. Le directeur de mon programme qui fut aussi mon professeur principal m’a gratifié d’une note incompréhensible. J’ai eu droit à un B+ pour la seule matière dont le coefficient compte pour plus du double, comparativement aux autres matières. La session fut difficile. Il a manifesté un intérêt privé et a entrepris un jeu de séduction auquel j’ai été réceptive pendant quelque temps avant de me raviser, privilégiant mon travail à la perspective d’une éventuelle liaison sans lendemain. Mais, l’homme est arrogant, égocentrique, intransigeant, charismatique, brillant et … Manipulateur. Lui dire « non » relève de l’exploit, il est la star de l’Université et de la province entière, dans son domaine d’expertise. On le craint et le hait, mais tous respectent son travail.

Les 5 mois ont été ponctué de compliments sur mon travail, de regards caressants, de sourires enjôleurs, et de conversations intimes où il recherchait mon approbation concernant sa méthode d’enseignement lorsque je me laissais charmer par son charisme. Dès lors que je tentais de rompre ce ballet, en adoptant une attitude distante, il devenait dur et m’accablait de reproches concernant mon comportement se résumant à ce qu’il qualifiait de « manque d’humilité ».

Il a bientôt 60 ans (alors que tout le monde lui en donne 45), a une femme et des enfants. J’ai fini par le savoir. Comment pouvait-il penser que je puisse réagir autrement ? J’ai fini par lui montrer, sans le vouloir, car je suis transparente et que faire semblant est compliqué pour moi, combien je méprisais son petit jeu. Je n’ai malencontreusement pas su cacher mon arrogance qu’il jugeait comme étant définitivement … Parisienne. Le pire, c’est qu’il a cru tout savoir de moi lorsqu’il a appris que j’avais habité l’Île Saint Louis. Je me résumais donc peu à peu dans son esprit, comme une fille à papa friquée mais brillante, arrogante et fière, qui a toujours eu ce qu’elle désirait sans jamais faire le moindre effort. Il a cependant tort.

Je sais en mon âme et conscience que le travail rendu est le meilleur de tout ce que j’ai pu produire durant ma scolarité universitaire. J’ai conscience d’être brillante dans ce domaine car je le fais avec passion, application et dévouement. Il m’a collé une des plus basses notes de la classe, alors que la semaine auparavant, il disait que ce travail était excellent, brillant et pourrait faire l’objet d’une proposition professionnelle à l’entreprise pour laquelle nous avions fait ce dossier. Deux semaines auparavant, il me disait que le travail de Lise, une de mes camarades, laissait vraiment à désirer et qu’elle était sur la mauvaise pente. Elle a eu A-. Plus que moi. Comment est-ce rationnellement possible ? C’est justement impossible.

Je sais ce qu’il s’est passé entre lui et moi : une passion amour/haine qui de toute manière tourne forcément en ma défaveur. Je n’ai aucun recours, faire réviser ma note déclenchera sa colère et ne me fera que me mettre encore plus en danger. C’est lui seul qui décidera, si mon projet de stage est suffisamment solide pour être réalisé, il peut rallonger la durée de mes études indéfiniment en m’obligeant à repasser des oraux de session en session, finalement c’est bien lui qui aura le dernier mot car il décidera de ma remise de diplôme ou non.

En tout cas, ce B+ réduit considérablement voire même, ruine mes chances de rentrer à Harvard où je voulais faire un Ph.d en Histoire de l’art. Je suis frustrée et en colère. Il a décidé de me punir et il sait bien où appuyer pour m’humilier, car au fond, lui et moi nous nous ressemblons comme deux gouttes d’eau. C’est cela qui l’a attiré.

Je me sens violée mentalement, abusée, humiliée. Ces sentiments sont assez forts, à la hauteur des dialogues silencieux, et de la profonde déception qu’il m’a causé. Je n’aurais pas cru qu’il s’abaisserait à faire une chose pareille juste pour satisfaire son orgueil de mâle blessé de ne pas avoir obtenu ce qu’il désirait. Je bois en soirée depuis 3 jours, comme une sportive de marathon. J’essaie d’oublier mais les rêves me rattrapent, le fantôme de l’échec me tient serré dans ses bras. Je suis Ella, 29 ans, et à 16 ans j’ai connu ma toute première expérience sexuelle, un revolver
sur la tempe. L’inconnu me sodomisa violemment avec exaltation, passant d’une humeur agréable à une autre constamment. Avant cela, je me voyais comme une princesse qui connaîtrait l’amour physique seulement après avoir rencontré l’homme de sa vie. Lorsqu’il a ruiné mon rêve d’enfant, j’ai tout perdu, mes illusions, mes idéaux, mes espoirs et… Moi. Pendant une semaine, le goût de son sexe coulant de sperme a envahi, tapissé et habité ma bouche. Mes nuits sont devenues un enfer sans fin durant lesquelles je revivais l’acte, des nausées ont ensuite brouillé mes sensations, et mon corps devenait un étranger que j’ai appris à haïr au point de lui faire mal et le déformer, de façon à ce qu’il ne soit plus désirable. J’ai réussi. Pendant un temps. Puis, la réalité reprend ses
droits face à la plus aiguë des douleurs. Alors, je le modifie à nouveau pour qu’il soit désirable. Fuir au Canada faisait office de convalescence, même si il aura fallu 14 ans d’errance pour y parvenir.

Il a sali tous mes efforts, tous les espoirs que je nourrissais en arrivant sur cette autre Terre, à l’autre bout du monde que je connais et qui m’avait vu souffrir mille morts d’être esclave d’un corps et d’une entité que je parvenais plus à assumer.

On a raison de dire que, quoiqu’on fasse, le passé nous rattrape. Toujours.

17 réflexions sur “Mon enfer

  1. Pauvre Ella,

    C’est vraiment affreux ce que tu racontes là…

    Ce type qui t’a sodomisé n’a pas été puni? Il a fait ça peut-être aussi à d’autres? Ne fais pas mal à ton corps. Ca ne te sert à rien. De toute façon, toi et ton corps ne sont pas coupable pour ce que t’est arrivée!

    Ton expérience recente à ton université te montre à nouveau les bassesses de l’humanité… Le type sait qu’il est le plus fort et te fais sentir que tu as blessée son orgueil de mâle. A ta place je ferais réviser ta note! De toute façon, tu n’as rien à perdre si cette note compromets ton Phd à Harward. Mais il n’y a pas 2 évaluateurs pour ton travail pour justement éviter ce genre de truc ?

    De toute façon, quand tu regardes, il y a tellement des gens qui ont obtenu des postes car ils ont leché des bottes d’un responsable ou repondu favorablement à des avances sexuelles… Moi, je n’ai jamais fait ça et je ne ferais pas. De ce fait je ne ferais probablement pas une grand carrière mais j’arrive quand même à gagner correctement ma vie. Ma paix interne vaut bien ça!

    Si tu n’étais pas si loin (je suis passé au Canada au printemps dernier), je te prendrais simplement dans mes bras SANS arrière pensées sexuelles ou autres,

    Kai

  2. Ouch, je ne m’attendais pas à un post aussi bouleversant !
    J’avais effectivement entendu parler du certains pouvoirs que les doyens avaient sur la faculté, mais j’avais osé espérer que tout cela n’était qu’une rumeur, hélas …non !
    Quand à la « ruine de ton rêve d’enfant », pour reprendre tes mots, je ne peux qu’exprimer mon dégout envers l’espèce humaine…

  3. Un peu compliqué de dire cela à la suite de ce post, mais si l’espèce humaine est pourrie, comme dans tout, il existe des exceptions. Et ces exceptions sont de véritables trésors qui valent tout de même le coup d’être connus.

  4. C’est vrai qu’on ne sait que dire de plus. N’importe quels mots serait ridicule.
    Tout ce que je peux te souhaiter, c’est que les choses s’améliorent. Et j’approuve les autres commentaires ; La bassesse humaine fait peur…
    Bon courage pour la suite. Garde confiance en toi, ce n’est pas toi qui est remise en faute, ni ton travail.

  5. On se demande à quoi ça sert de se battre pour ses projets, ses idéaux et sa vie quand on peut être confronté à une telle saloperie humaine.
    Et le pire dans tout ça c’est l’impuissance…..

  6. Il existe toujours des légendes sur les profs de fac généralement qui se vérifient. Est ce que tu étais au courant qu’il avait eu de tel agissements dans le passé?? Mes amis qui sont passé au Canada m’avait que les loi sur le harcellement était extrêmement répressive. C’est un peu un des bombes atomiques ce genre de lois mais si ce prof a eu de tels agissements dans le passé, alors tu peux être l’effrayer pour modifier ta note.

    Je me sens mal à l’aise devant ton article car il complète les précédents d’une façon inattendu par rapport à tout ce que tu avais pu écrire jusqu’à ce jour. Je te souhaite du courage pour la suite, malgré ce vieux con au fond de toi j’aimerai te dire que tes rêves ne sont pas terminer.

  7. Très touché de te lire…Ce type est une ordure.
    Je suis certain que cette malheureuse expérience te profitera, quelque part…Tu es jeune et brillante, peu importent les écoles, ton talent sera reconnu dans le monde professionnel.
    Bon courage, ne te laisse pas (trop, ou trop longtemps) abattre. Ce serait une perte pour toi et pour ce que tu peux apporter au monde.
    Salut…

  8. Bonjour,

    alors, que est devenue la pauvre Ella ?

    J’espère qu’elle n’est pas tombée dans une dépression ou l’alcoolisme après ce qu’elle a écrit ?

  9. Nina,

    Tu ne trouves peut-être la fin de ma comm pas très fine mais quand on peut lire en plus du reste :

    Je bois en soirée depuis 3 jours, comme une sportive de marathon. J’essaie d’oublier mais les rêves me rattrapent, le fantôme de l’échec me tient serré dans ses bras.

    C’est quand même grave et on peut quand se le demander si elle ne se manifeste plus depuis, non ? En tous cas, je ne lui le souhaite en aucun cas et espère qu’elle arrivera à s’en sortir autrement!!!

  10. Elle ne s’est pas manifestée ici mais j’ai eu plusieurs fois de ses nouvelles ailleurs. Mais bon, mettre les formes ne nuit jamais à personne, hein…

  11. J’espère le mieux pour elle alors!

    Pour les formes, ça doit être encore une des différences entre Français et Allemands et j’ai malgré 2 formations franco-allemands parfois un peu de mal avec ça… Ecrire comme j’ai écris la fin de l’avant dernière comm en Allemagne ne choquerait personne et ce n’était pas non plus mon intention ici…

  12. J’ai pas dit que c’était choquant, juste que c’était pas fin. Un simple « j’espère que tu vas mieux » aurait été tellement plus élégant.

  13. T’as peut-être raison mais comme je ne lui a pas écris la comm personellement… Sinon, j’aurais bien fini par quelque chose comme « j’espère que tu vas mieux ».

  14. OUi bon on va pas épiloguer pendant deux heures, dire de quelqu’un (sachant que la personne peut lire) « j’espère qu’elle n’a pas sombré dans la dépression ou l’alcoolisme », ce n’est pas fin. Maintenant stop

  15. Mdr. Merci merci à ma toute merveilleuse Nina !

    Non mais je vais parfaitement bien KHK. Tu dois savoir que la vie peut être autre chose que virtuelle, n’est-ce pas ? Donc, tout cela pour dire que je travaillais et que je vivais ma vie tout bêtement.

    J’écris un article dans le courant de la semaine.

    Merci, Bien à vous.

Les commentaires sont fermés.