Episode 11

Chapitre 7
 

            Ethan entendit des pas dans le couloir et se prépara à accueillir son geôlier. Il
avait bien l’intention de s’échapper et les menaces d’Oceany n’y changeraient rien. De toute façon, elle ne pourrait rien lui faire, une fois qu’il serait retourné là-haut. Il attrapa donc la
chaise qui se trouvait dans sa cellule et s’apprêta à la lancer à la figure de celui qui allait entrer, mais il s’arrêta net quand il s’aperçut que c’était Oceany. Au fond, il l’appréciait
toujours et ne voulait pas lui faire du mal. Ca aurait été plus facile si ça avait été un de ces métèques.

« En voilà un accueil, Ethan. Je vous conseille de reposer cette chaise ou vous pourriez le regretter. »

Il s’exécuta docilement, tandis qu’elle refermait la porte et allait s’installer sur le lit. Elle lui tendit un objet noir, ce qu’il l’étonna un peu,
puis il se rendit compte qu’il s’agissait d’un visiophone portable.

« Qu’est ce que vous voulez que je fasse avec ça ?

– Appelez votre mère, elle est folle d’inquiétude.

– Qu’est ce qui m’empêchera de la prévenir que je suis en danger ?

– Ca, fit-elle en pointant sur lui un revolver.

– Bon sang, vous avez trouvé ça où ? Je croyais que les armes étaient interdites, ici.

– C’est le cas, mais les cyborgs policiers sont nuls en matière de sécurité, on leur pique ce qu’on veut. Et si vous vous amusiez à la prévenir quand
même, j’ai un de mes hommes juste à côté de chez votre mère. Il l’abattra si je lui en donne l’ordre. Bon, appelez et dites-lui que vous allez bien et que vous êtes chez votre
maîtresse.

– Mais je peux pas dire ça !

– Que vous voulez passer quelques jours avec elle avant de la quitter et d’épouser Neve.

– Mais ça va la tuer si je lui dis ça.

– Non, ce qui va la tuer, c’est que vous ne l’appeliez pas : elle est folle d’inquiétude. Faites-le Ethan.

– D’accord. »

Il attrapa le combiné et composa le numéro de sa mère. Il était plutôt étonné par l’attitude de la jeune femme : il ne s’était jamais imaginé un
ravisseur inquiet pour la mère de sa victime. Enfin, elle décrocha.

« Ethan ! fit-elle, ivre de joie. Je m’inquiétais tellement pour toi, où tu es ?

– C’est assez compliqué, je suis…chez une femme, pour quelques temps, encore, et…

– Une femme ? Oh mon Dieu, Ethan ! N’as-tu pas honte ? Que va dire Neve ?

– Tu n’es pas obligé de lui dire, non plus. Ecoute, je vais rompre avec cette femme, mais je veux vivre mes derniers jours de liberté avec elle, tu
comprends ?

– Oui… De toute façon, je peux pas t’en empêcher, soupira-t-elle. Rappelle-moi dès que tu rentres, d’accord ?

– Oui, maman.

– Je suis contente que tu aies appelé, je me faisais du soucis, tu sais.

– T’en fais pas, je vais bien.

– Je t’embrasse mon chéri.
– Moi aussi, m’man. »

Il raccrocha et rendit le combiné à la jeune femme, qui resta silencieuse, perdue dans ses pensées. Il avait du mal à croire que c’était elle qui le
retenait, elle avait l’air si douce, si inoffensive…Il ne fallait jamais se fier aux apparences, il le savait, mais quand même…

« Merci, dit-il, pour rompre le silence.

– De quoi ?

– De m’avoir permis de téléphoner à ma mère.

– C’était dans mon intérêt : elle n’alertera pas la police, comme ça. Que pensez-vous des Chinois ?

– Pourquoi cette question ?

– Vous êtes raciste, comme les autres, ça ne va pas me faciliter la tâche, mais je ne renonce jamais.

– Je vous promets que je ne garderai votre secret, si vous me relâchez.

– Pas question : j’ai besoin d’alliés et vous vous battez plutôt bien, pour un élitaire. Bon, trêve de plaisanterie, je n’ai pas beaucoup de
temps à vous consacrer, et…

– Fichez-moi la paix, je ne rejoindrai jamais votre groupe. Bon sang, vous trafiquez avec des Chinois, vous êtes une ennemie de la nation et ce n’est
pas parce que vous vous appelez Antelwort Geller qu’ils vont passer l’éponge aussi facilement. Vous allez vous retrouver avec tous vos copains asiatiques au fond d’une cage, c’est tout ce que
vous aurez gagné. Arrêtez de faire n’importe quoi, Oceany : vous jouez avec le feu et vous allez vous brûler.

– Je m’en fiche pas mal, au fond. Je refuse d’accepter cette société telle qu’elle est actuellement, parce qu’elle est mauvaise, mai personne n’a
l’air de s’en rendre compte, là haut.

– Enfin, cette société est celle qui s’approche le plus de la perfection, depuis le début de l’humanité : il n’y a plus de guerre, plus
d’argent, plus de travail, plus de…

– Mais ouvrez les yeux, Ethan ! Tout ça, ce n’est bon que pour nous, là-haut, mais regardez un peu où vous vivez : c’est minable, ici, il y
a vraiment le strict minimum en matière d’hygiène et personne ne voit jamais le soleil. La journée s’est passée et si vous y réfléchissez bien, le soleil ne s’est pas levé, en bas.

– Dans toutes les sociétés, il y a eu des miséreux, des laissés pour compte, c’est inévitable. Mais ici, leur pourcentage est réduit par rapport à la
société d’avant. Et puis, le capitalisme était quelque chose d’horrible, qui broyait les gens faibles. Il fallait travailler encore et encore, quitte à se tuer à la tâche pour gagner quelques
sous pour pouvoir subsister. Maintenant que l’argent a disparu, tout va mieux : pourquoi croyez-vous qu’il y a eu cette maudite guerre ? Parce que les Chinois voulaient agrandir leur
territoire. Pourquoi ? Pour avoir plus de terres à cultiver, plus de matières première, etc. tout ça dans le but de gagner plus d’argent et de devenir une puissance plus importante. L’argent
était un cancer qui rongeait la société précédente et l’a amené à l’inévitable : la destruction. Maintenant, dites-moi sincèrement, pensez-vous vraiment que la vie d’avant guerre était mieux
que celle de maintenant ? Technopolis nous offre tout ce dont nous avons besoin pour pas un sous.

– Je n’ai jamais dit que le capitalisme était mieux que notre système actuel et, de toute façon, on ne peut pas comparer, ça n’a rien à voir. Oui,
c’est vrai que Technopolis offre des avantages fantastiques qu’on aurait pas pu imaginer il y a trente ans, que l’argent était un mal, si vous voulez, ce n’est pas là, le problème. Vous avez déjà
entendu parler de Scott Rogers ?

– Non, je ne sais pas qui c’est et je m’en moque.

– Vous vous souvenez du bombardement de la Chine par le virus, le 24 juin 2004 ? Rogers était un des quatre pilotes de la section spéciale qui a
arrosé Hong Kong, il est mort durant l’opération, avion abattu par une roquette ennemie, ainsi que son collègue. Ce type a donné sa vie pour nous et vous savez comment Oxford a remercié sa veuve
et son fils ? Il les a enfermés dans une cage à lapin au premier étage de la ville, tandis que le colonel Leighton qui dirigeait les opérations, tranquillement, à l’abri dans sa base, se
prélasse sur son balcon, là-haut. Les vrais héros, ceux qui sont morts sur le terrain, personne n’a pensé à leur rendre hommage, vous trouvez ça juste, vous ? Moi, pas. Le classement a été
trop mal fait, mais on ne peut plus rien changer : il n’y a aucune possibilité de promotion sociale. C’est vrai, le capitalisme avait ses défauts et ils étaient nombreux, mais grâce au
travail, un pauvre pouvait espérer se faire une place au soleil, mais maintenant, c’est plus possible. Imaginez un instant que votre mère ait été célibataire, sans mari ou homme à la
maison ou alors que votre père ait été invalide : la guerre débute, votre foyer ne peut envoyer personne sur le front et, à cause de ça, vous échouez au rez-de-chaussée avec des tas de
machines qui font un bruit d’enfer et qui produisent tellement d’ondes électromagnétiques que votre vie est raccourcie d’au moins dix ans. Maintenant, allez-y, recommencez-moi votre belle
apologie sur Technopolis et ses avantages.

– Comment vouliez-vous qu’on fasse pour qu’on détermine ceux qui devaient être en haut et ceux en bas ? Après une guerre, le mérite militaire me
semblait évident. Bien sûr, ce n’est pas juste pour tout le monde, mais qu’est ce qu’on y peut ? Je persiste à dire que cette société est bien meilleure que la précédente.

– Mais, bon sang ! Tout est figé, on ne peut pas avancer ou régresser sur l’échelle sociale, on a fait un bond immense en arrière, on est revenu
au temps de la Monarchie absolue.

– Ca n’a aucun rapport, voyons, nous sommes en démocratie.

– En démocratie ? Ils vous ont lavé le cerveau ou quoi ? Réfléchissez un instant, Ethan : le maire a tous les pouvoirs, ici, OK ?
On peut dire que c’est le président de cette société ; Comment est-il arrivé au pouvoir ? Le peuple ne l’a pas choisi, il s’est imposé et si vous y repensez, vous remarquerez qu’on n’a
jamais parlé d’élections municipales. Oxford est devenu le Roi de la ville et quand il sera mort, c’est son fils qui lui succédera : c’est la Monarchie. D’ailleurs, tous les vieux
comportements se sont remis en place d’eux-mêmes. Vous avez été obligé de vous choisir une fiancée parmi l’élite, même si vous ne l’aimez pas, parce qu’on ne mélange pas les classes. Et toutes
ces réceptions, là-haut, c’est un simulacre de cour du Roi et même les décorations inspirées de Versailles, entre autres…nous sommes totalement prisonniers, Ethan et si personne ne bouge, rien ne
changera.

– Qu’est ce que vous proposez, à la place ?

– Je ne sais pas, mais cette ville sera bientôt détruite, avec ou sans votre aide.

– Vous êtes complètement cinglée, ma pauvre fille, vous me faites de la peine.

– Vous êtes né en quelle année ?

– 1996, mais je ne vois vraiment pas ce que ça peut vous faire.

– Vous aviez donc neuf ans quand la guerre a commencé…vous vous souvenez de la société d’avant, de vos camarades de classes d’avant ? De quelle
couleur étaient-ils ? Ca m’étonnerait qu’ils aient été tous blancs. Vous avez partagé vos jeux d’enfants avec des noirs, des arabes, des asiatiques ou des latinos et, à l’époque, ça vous
paraissait normal, alors que maintenant, ça vous choque de voir des yeux bridés ailleurs qu’en prison. Vous vous souvenez du fameux melting-pot qui faisait la fierté des Etats-Unis ? Si oui,
vous avez de la chance, parce que ce n’est pas mon cas et ma meilleure amie, Mai-Li, est obligée de rester enfermée ici, parce qu’elle risquerait de se faire arrêter si elle mettait le nez
dehors…des milliers d’asiatiques américains ont été arrêtés alors qu’ils étaient innocents, dès qu’ils voient des jaunes, comme ils disent, ils les mettent en prison, sans même savoir s’ils sont
Chinois ou non. Réfléchissez à tout ça, Ethan. »

Elle quitta le lit et repartit sans rien ajouter. Il était surpris de voir tant de maturité chez cette femme, à peine adulte. Même s’il ne partageait
pas ses opinions, il devait avouer que ses arguments étaient troublants et dénotaient une intelligence et surtout une culture remarquable. Il s’étala sur le lit et fixa le plafond, pensif…en
effet, il n’avait pas vu le moindre rayon de soleil de toute la journée.

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8 réflexions sur “Episode 11

  1. Bon, ben deuz alors :))
    J’ai + de mal avec la lecture de Technopolis que les autres articles, sûrement parce que je préfère avoir l’ « objet » livre entre les mains. Mais le style est excellent et fluide ! A quand la recherche d’un éditeur ?
    Sinon, un excellent roman que je viens de finir et te recommande, c’est « La seconde vie d’Abram Potz ». L’histoire d’un serial killer qui débute sa ‘carrière’ à 86 ans; un vocabulaire riche; un ton iconoclaste et provocateur. A dévorer 🙂

  2. ah ah elle se débrouille bien la miss 😉
    dis moi, juste deux tits trucs si tu tiens aux corrections: ya un petit « ne » en trop (dans la réplique d’Ethan: « Je vous promets que je ne garderai votre secret ») et il manque un « s » à la fin d’un « mais » d’une réplique d’Oceany (« mai personne n’a l’air de s’en rendre compte, là haut. »)
    voilou tu as la droit de supprimer ce comm 😉

  3. je vous en prie ma chère, pas de quoi!
    Au fait je voulais te signaler que ma proposition pour la traduc’ est serieuse (au moins pour commencer et voir ce que ça donne!) alors si ça t’intéresse tu peux me faire signe 🙂

    (250 pages, même pas peur!! :p …heu.. :/ ^^)

  4. Et en lilie courageuse…
    Toujours aussi bien nina…

    MAis il est où juan et c’est quand qu’il brouette avec oceany

    BAO et bonne continuation

    Juan

  5. c’est ce comm que je pigeais pas, Juanito!
    et je compte bien sur ton aide 😀
    Faut mettre les mecs à l’action, ça s’apelle la parité.
    Sinon j’appelle Monica (ça devrait lui plaire, t’as de belles fesses à ce qu’il parait :p)
    NA.

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