Y a des moments dans la vie où la vérité me tombe dessus telle une averse glacée, me frappe au visage tel le blizzard canadien, me met à genou tel un coup de poing dans le ventre… Bon, bref, des fois, j’ai des révélations et certaines me glacent comme celle-ci : je suis une connasse de marketeuse.
Pendant longtemps, le marketing fut pour moi une lointaine nébuleuse dont je n’identifiais qu’un élément : ma soeur. Mais de là à comprendre ce qu’elle faisait précisément, il y avait un fossé. Et puis j’ai été attrapée par l’attraction de cette nébuleuse (je suis pas convaincue de la valeur scientifique de ma métaphore mais j’aime la notion d’attraction de la nébuleuse) et petit à petit, j’ai intégré le système. Pire, je suis devenue le système. En clair, ça donne quoi ? Ce genre de discours « blablabla prés’ blablabla slides blablabla reportings blablabla bench’ blablabla trends blabla metrics blabla ROI KPI CPC CPA CTR lalalilalilala » (j’ai récemment redécouvert François Pérusse, mon écriture s’en ressent légèrement). Bref, je jargonne sans même m’en rendre compte, rendant mon discours particulièrement opaque pour les non initiés.
Mariage de Lena, je discute autour du feu avec Suzie qui connaît bien notre univers magique. « Non mais tu vois, le CM BtoC [prononcez BitouCi] et le CM BtoB [BitouBi] blablablabla ». Elle me fait « oui, oui. Tu sais que je suis à peu près la seule à comprendre ce que tu dis, là ? ». « Oh tu crois ? Attends… Hé Fabien [aka le prof de physique devant qui j’ai critiqué les cours de physique avant de faire une blague involontaire sur les ohms], si je te parle BtoB, ça te dit quelque chose ? » « … ». Ok, faudra un jour que j’étudie les mécaniques de communication entre un prof de physique et une marketeuse, ça n’a pas l’air simple…
Bref, quand je suis rentrée dans le marketing, je me moquais de tous ces gens parlant un espèce de gloubi-boulga franglais pour faire initié, alors même que mon ex stagiaire américaine m’expliquait qu’on utilisait la plupart des mots à tort et à travers (genre un benchmark, en anglais, c’est pas cette observation du marché tel qu’on l’entend). On forwarde, on suit les process, on se call back à propos de long tail, updates, on dit « c’est Nina du social (sochieul) », je dis « je suis chef de projet social media, je bosse dans le marketing digital, quoi… » et j’observe les gens qui ne sont pas du milieu ne rien capter à ce que je leur raconte et je ne leur en veux pas car je ne suis même pas sûre de comprendre moi même. Verbiage, acronymes et anglicismes, petite smoothie d’un wording qui ne sert qu’à faire croire qu’on maîtrise parfaitement les paramètres.
Et ça contamine. Je ne mets plus aux couleurs de, je brande, je fais même du brand content, du content plan, je me prétends crânement « SMO » (social media organizer). C’est pareil que chef de projet SM mais c’est plus international, voyez. On sort un peu des slots. On se moque de ce langage mais on l’adopte malgré ça. Je raconte ma journée à mes copines qui ne baignent pas dans le digital, elles me laissent parler poliment avant de me dire « Oui, heu…j’ai rien compris à ce que tu racontes ». Et à chaque fois, je rougis, je me dis que la contagion ne cesse de s’étendre et que bientôt, je serai condamnée à ne fréquenter que des marketeux car seuls eux me comprennent. Alors même que je prends un pied monumental quand je parle à des gens qui n’ont pas de blog, de Facebook ou de Twitter, qui ne connaissent pas les blogueurs ou twitterers influents et qu’en plus, ils s’en foutent. Et pourtant, je reprends mon discours à base « d’affect/affinitaire », « inspirationnel » et j’utilise des mots comme hipster, swag en pensant que tout le monde me comprend.
Et à l’inverse, je peux me montrer complètement pédante en pensant parler à des non-initiés, à leur expliquer le B-A-BA du web qu’ils connaissent déjà ou carrément balayer d’un geste de la main « non mais c’est trop compliqué à expliquer quand t’es pas du milieu ».
Bref, je suis une connasse de marketeuse (oui parce que j’alterne les 2 minutes du peuple avec Bref. Je pense devenir la fille la plus relou du monde dans deux semaines max)
Les maitresses des écoles primaires vont quelques fois dans les maisons de retraite pour faire chanter les enfants. Les petits vieux sont heureux, ils aiment bien les chansons qui rappellent leur jeunesse. Il faut bien les distraire nos vieux.
Ce samedi matin, c’est la petite nina qui explique aux petits vieux Twitter et si vous suivez bien elle vous expliquera comme créer le blog de la maison de retraite.
Ce n’est pas un fossé qui sépare une marketeuse Twitteuse des autres, c’est un océan.
J’aime bien lorsqu’un journaliste explique sur TFI que la campagne électorale se passe aussi sur Twitter. Les vieux, ils connaissent le minitel, le liban, Kadhafi, et Twitter c’est ….
et donc voilà, j’ai tout compris… j’en déduis que je suis aussi une connasse de marketeuse. J’ai peur !
Hélas, y a pas que dans le marketing que ça se passe comme ça… le conseil en stratégie est limite pire.
C’est comme ça que dans mon ancienne administration envahie par les consultants, je me suis aussi tapé du bench, du ROI, du REX, du FYI,…
… et c’est comme ça que quand je suis arrivée dans mon actuelle administration, on m’a regardé avec des yeux ronds sans rien comprendre de ce que je disais…
… et c’est surtout comme ça que certains termes à deux balles (REX et bench’ notamment) sont désormais utilisés.
Je m’en veux TELLEMENT !
Tu ne penses pas que dès que ça devient un peu technique dans un métier, y’a un vocabulaire qui vient avec?
Bossant dans le médical je sais ce qu’est une SEP (= sclérose en plaque), un néo (= cancer) et je comprends quand ils hurlent « NFS » dans urgences (une bête prise de sang en fait). Et ne parlons pas des anglicismes: PID (prononcez piayedi), BID, DSM…
En même temps, quand j’entends parler des informaticiens, des ingénieurs, des chimistes, des physiciens ou même des philosophes (y’en a un qui m’a parlé du paradigme hypocratique, heu??), ben je comprends pas grand chose (et maintenant je peux ajouter les marketeux dans ma liste 😉 )
moi je suis une pétasse des RP, on se complète (mais j’aimerais bien aller vers le e-marketing sauf que j’y connais que pouic)
Boulou a raison : je viens du médical aussi, après avoir été dans le BTP et d’autres domaines. Chaque branche a son jargon. Certaines sociétés inventent même le leur. Si je te dis qu’aujourd’hui, c’est CODI ?
Très drôle également : quand une société est leader dans son domaine, elle imagine que la France entière, que dis-je, la planète entière la connaît ! Rude est la chute : seuls les concurrents la connaisse.
Puis quand tu as travaillé dans le médical, tu aimes bien te la péter (enfin moi… j’avoue) en étant la seule à savoir lire une ordonnance d’examens de labo et à la comprendre ! J’suis rien qu’une connasse d’ancienne secrétaire qui se prendrait presque (mais presque seulement hein !) pour une infirmière…
tous les beaux mots, sigle, BtoB et BtoC, je les comprends …
p’tain, je suis une connasse de marketeuse !